Expression de soi et création théâtrale
collective
Etablissement :
Collège
André Malraux
80
chemin du Grand Roule
69110
Sainte Foy lès Lyon
tél
: 04 78 51 82 52
fax
: 04 78 50 87 60
contact :
Sylvie
Crevel
Expression de soi et création théâtrale collective
Sommaire :
·
I. DESCRIPTION DE L’ACTION
·
II. CONTEXTE
· III. OBJECTIFS DE
L’ACTION
· IV. DEMARCHES
CHOISIES
· V. REGARDS SUR
L’ACTION
·
VI. EVALUATION DE L’ACTION
·
ZOOM
I. Description de l’action
L’expérience décrite vise une
amélioration des relations sociales dans le collège et un mieux-être
quotidien des élèves. Les thèmes de travail sont en lien avec le vécu des
élèves : la violence «ordinaire», les émotions, l’image de soi . L’outil de
travail est la création théâtrale collective.
Un petit groupe d’élèves (12),
volontaires, accompagné par un groupe d’adultes du collège et assisté d’un
metteur en scène, construisent un spectacle, le jouent devant leurs
camarades, en parlent avec eux.
Le texte est élaboré en classe,
au CDI, dans le cadre de l’atelier théâtre, dans un va et vient constructif.
Il est l’expression négociée des préoccupations, des vécus des élèves en
général. Il est une recherche de réponses nouvelles à des situations
difficiles à vivre.
La création théâtrale est une
expérience forte pour les acteurs. Elle fait évoluer aussi bien les personnes
que les groupes.
II. CONTEXTE
Le collège André Malraux est un petit collège qui
accueille en majorité les enfants d’une cité HLM. Le reste de l’effectif est
constitué d’enfants de milieux sociaux plus favorisés. Beaucoup d’enfants
viennent de milieux très modestes, de familles monoparentales, de foyers, de
familles dont les parents ne sont pas alphabétisés. Parmi eux, un certain
nombre ressemblent aux “sauvageons” dont parle le Ministre de l’Intérieur.: “
faute d’avoir été protégés et rassurés par les adultes, ils ont appris à se
défendre … Ils vivent la loi de la rue avec ses codes et ses parrains ”.
III. OBJECTIFS DE L’ACTION
1. Hypothèses
En nous penchant sur les difficultés et souffrances de
certains de nos élèves, nous avons, au cours des années, affiné notre
réflexion. Nous avons d’abord constaté leur agressivité, puis nous avons pris
conscience que cette agressivité était souvent une réponse émotionnelle
incontrôlée aux frustrations de la vie en société, enfin nous nous sommes
demandés si leur difficulté à construire une estime d’eux-mêmes n’était pas à
l’origine de ces comportements.
A chaque étape de notre réflexion, nous avons fait également
l’hypothèse qu’une représentation théâtrale, élaborée et jouée au collège,
permet à chacun de voir reconnus ses doutes, sa sensibilité et son aspiration
à une image positive de soi, et améliore de ce fait la vie quotidienne à
l’intérieur du collège, pour tous ses membres.
2. Objectifs
poursuivis
1ère
année : réfléchir sur la violence, en tant que
souffrance individuelle et collective, souffrance de la victime, souffrance
de l’agresseur. Prendre conscience que les manquements au respect des autres
que l’on s’autorise parfois, ne peuvent plus être assumés quand ils sont
montrés au grand jour, sur une scène. Inventer une autre sortie que la
violence à une situation conflictuelle.
2ème
année : réfléchir sur le vécu et l’expression
des émotions. Ces comportements violents et asociaux ne viennent-il pas
souvent d’une émotion non reconnue, non contrôlée ? En ce cas, il s’agit de
donner droit de cité à l’émotion au collège, montrer qu’elle est le lot de
tous, enfants et adultes, montrer que c’est la meilleure des choses si elle
est assumée. Apprendre à retarder la réaction à l’émotion.
3ème
année : travailler
le rôle que joue l’image de soi dans le quotidien des élèves. Comment assume-t-on l’image que les
autres vous renvoient ou que l’on se crée ? Comment construit-on son identité ? Y a-t-il des fatalités ?
Rappeler aux adultes, à travers un spectacle, combien
l’image d’un jeune peut être fragile et combien il a besoin qu’elle soit
positive.
IV.
DEMARCHES CHOISIES
Juin à septembre : choix du thème de
l’année suivante.
Septembre : reconstitution de l’équipe après les départs
de fin d’année. On fait appel aux nouveaux professeurs, à un intervenant, à
une équipe d’élèves, on recherche des crédits.
Septembre, octobre, novembre : lecture et
écriture sur le sujet. Début des ateliers : une séance par semaine pendant la
récréation de midi (environ ¾ d’heure). Les premiers mois : séances
d’improvisation pour permettre la prise de conscience du sujet et nourrir
l’écriture (chaque situation proposée est jouée par plusieurs équipes
d’élèves, les adultes prennent des notes). Un texte est mis au point.
Décembre - avril : distribution des rôles,
établissement du calendrier des répétitions du mercredi après-midi
(draconien), début de la mise en scène.
Ensuite réécriture partielle, ajout de scènes nouvelles
(écrites par une classe, par un groupe au CDI, proposée par exemple à
l’occasion d’un événement).
Répétitions.
Mai : représentations devant l’ensemble du
collège, sauf les classes de 3°. Le public n’excède pas deux classes, un
débat a lieu chaque fois. Quand les élèves le souhaitent, on invite les
parents.
2. Thèmes
abordés
Chaque thème correspond, en général, à un sketch.
- racket aux
petits pains - vol d’un stylo entre deux voisins de table - vol d’une trousse
par des élèves de 3° dans le cartable d’un 6° - racket aux devoirs - violence
d’un élève en classe vis à vis d’un autre et du professeur.
- définition de l’émotion - jalousie de deux soeurs -
l’émotion peut empêcher de répondre quand on est interrogé au tableau -
agressivité et colère entre surveillants et élèves, entre cuisinière et
élèves à la cantine (les adultes éprouvent aussi des émotions) - comment
dompter son émotion (ce drôle de zèbre) ? - on évoque aussi l’amour…
- peur de se
montrer aux autres - déconfiture au tableau devant le problème de
mathématiques - et si tout le malheur était arrivé à la naissance du petit
frère ? - comment se sent-on quand on ne comprend rien et que la voisine
répond à toutes les questions du professeur ? - certains s’assurent une
confortable estime de soi en prenant le pouvoir dans la classe contre le
professeur - certains ont délibérément choisi le bonheur - et si l’image que
l’on a de soi ne correspondait pas à celle que les autres en ont ? - peut-on
modifier l’image que l’on a de soi ? - Jouer avec les images (et les marques)
: défilé de mode - Quelle représentation de soi dans l’avenir (orientation) ?
3. Méthode de
travail
(Le professeur de français)
Dans la classe de 5° dont je suis le professeur de français, quatre
élèves sur vingt-et-un pratiquent l’activité théâtre. Les autres connaissent
bien l’existence de cette activité et la plupart ont vu le spectacle créé en
mai 98. Avant de commencer le travail, j’ai expliqué que nous allions
travailler pour le spectacle de cette année, sur le thème de l’expression de
soi, et qu’il s’agirait de transformer un épisode de roman en une scène de
théâtre. En ce qui concerne le travail à faire, les élèves savaient déjà
caractériser une scène de théâtre par opposition à un épisode de roman.
Le roman
choisi a été proposé par la documentaliste ; c’est Les oreilles en pointe.
Le texte retenu est le premier chapitre du roman, dans sa quasi-totalité. Il
s’agit d’un épisode qui appartient au vécu des élèves : un instituteur,
Frousteil, fait venir un élève, Raymond, au tableau pour lui faire résoudre
un problème d’arithmétique.
C’est un texte
fort, qui fait beaucoup d’effet sur les élèves, si j’en juge par la qualité
du silence lors de la première lecture. Il est chargé de tension dramatique,
due en particulier au fait que le narrateur est le jeune garçon, qui fait
part, au fur et à mesure du déroulement de l’action, de ses propres
sentiments et émotions.
Les élèves ont
attentivement suivi ce qui se passait pour cet élève : ses difficultés au
début, son espoir de réussir à faire ce que demande le maître, son
effondrement final (manifesté par son évanouissement). Ils ont moins réagi
sur l’attitude du maître, leur attention étant complètement focalisée sur le
jeune garçon ; peut-être parce qu’ils considèrent les comportements de leurs
enseignants comme des données
intangibles (alors que le
personnage de Frousteil révèle peu à peu son comportement sadique).
Le travail de mise en forme théâtrale n’a
pas posé de gros problèmes : l’abondance des dialogues dans l’épisode du
roman, la présence d’un style indirect simple (pas de phrases compliquées),
la répartition claire entre actions et réflexions du narrateur ont permis aux
élèves d’écrire facilement la plus grande partie du texte de la scène de
théâtre :
- les
dialogues (débarrassés de leurs verbes introducteurs s’ils en ont) sont
passés tels quels en répliques de théâtre ; s’ils sont accompagnés de
notations portant sur le narrateur, ces notations passent en didascalies
(indiquées en marge) ou disparaissent ;
- les
phrases de style indirect sont transformées en style direct, avec les
modifications nécessaires ;
- le récit
proprement dit a été réparti en répliques théâtrales (pour les actions) et
didascalies (pour la façon de dire le texte ou de se comporter) ou bien a été
purement et simplement abandonné.
Nous avons gardé telle quelle la fin de cet épisode, dans lequel,
après son évanouissement, Raymond explique l’origine de ses difficultés :
c’est la naissance de sa petite sœur qui, selon lui, l’a perturbé. Dans la
scène de théâtre, cette partie sera dite par le personnage de Raymond,
mais comme en voix “off” (avec une
mise en scène adéquate).
Pour conclure, ce travail a été intéressant pour la classe, les
élèves l’ont fait très sérieusement. En particulier, certains élèves assez
peu scolaires ont pu se retrouver dans ce que vivait le jeune garçon et ont
manifesté un grand intérêt. Ceux du groupe théâtre ont demandé expressément
de pouvoir jouer les deux personnages de Frousteil et Raymond.
Une situation tirée du vécu est proposée par les élèves,
la conseillère d’éducation, la documentaliste ou les professeurs. La même
scène est improvisée plusieurs fois par tous les acteurs jusqu’à ce que
personne n’ait plus d’idée. Les adultes notent. On prend ce qui semble le
meilleur de chaque proposition pour faire un texte. Un ou deux adultes se
chargent de la mise en forme.
Avec le groupe d’enfants qui s’y trouve, on utilise la
technique de “la dictée à la maîtresse” afin de ne pas entraver l’expression.
La documentaliste à l’ordinateur tape au fur et à mesure les phrases que les
élèves lui suggèrent au sujet d’un problème qui est posé. En cours de frappe,
elle demande une formulation meilleure. La reformulation est collective (la
documentaliste y participe) et se poursuit jusqu’à ce que le groupe soit
satisfait. Il faut un texte qui non seulement parvienne à exprimer la pensée
mais qui ait aussi une qualité dramatique.
C’est une activité à laquelle les enfants se sont livrés
avec plaisir, parfois avec passion. Notre seul acteur masculin à rejoint
l’équipe pour pouvoir porter jusqu’au bout le texte qu’il avait fortement
contribué à élaborer sur l’émotion éprouvée lorsqu’on est interrogé au
tableau.
Les répétitions sont toujours un exercice délicat pour
les acteurs.
- Tout
d’abord, il faut se montrer, s’accepter avec ses imperfections physiques
(gros ou grosse, petit ou petite, grand ou grande par rapport aux autres…).
Fort heureusement, notre actrice-metteur en scène présente ce qui apparaît
comme des défauts selon les critères de l’esthétique aujourd’hui : elle
est plutôt petite, très ronde et a une chevelure flamboyante ; or, elle joue
avec son physique et aide les enfants à accepter le leur : Vanessa qui
est ronde, avait un texte où elle devait dire : “trop grosse ?
”, notre metteur en scène lui a présenté un jeu de scène qui lui a permis de
s’affirmer dans ses rondeurs.
- La
deuxième difficulté est l’usage de sa voix : il faut apprendre à parler
fort, à respirer, à articuler, à ralentir son débit même si la peur est
présente.
- La
troisième difficulté est l’apprentissage du texte. Il débute par la
lecture. Cette lecture est souvent l’occasion d’une réécriture partielle car
les enfants ne comprennent pas certains mots et ne parviennent pas à les
prononcer, ou bien ils jugent qu’un autre mot leur convient mieux, est plus
conforme au vocabulaire qu’ils adoptent, ou plus fort. Ensuite, les enfants
doivent faire un effort de mémorisation : ils peuvent difficilement
répéter s’ils n’ont pas appris leur texte. Pour certains, cette mémorisation
est très lente et très difficile.
- La quatrième
difficulté est qu’ils ne doivent pas réciter mais jouer leur rôle. C’est
l’occasion de la mise en scène, du jeu de scène : ils interviennent
fréquemment pour apporter leurs idées ou contester. Ils doivent aussi
accepter les critiques. C’est parfois l’occasion d’entrer en conflit avec les
adultes, avec les autres acteurs. Mais aucun n’a abandonné son rôle à cause
de ce type de problème.
- Par
ailleurs, il faut faire attention à équilibrer la distribution des
rôles : c’est une pièce écrite par les membres du collège, tout
déséquilibre est source de tension et de ressentiment vis à vis de celui qui
distribue les rôles.
- Enfin, ce qui est difficile lors des répétitions, c’est
d’obtenir le silence et une écoute attentive vis à vis des autres acteurs.
C’est une discipline qu’ils respectent avec difficulté, jugeant qu’ils sont
dans une activité de loisirs.
V. REGARDS SUR L’ACTION
Pourquoi ?
Une pièce de ce genre a un aspect didactique voire
moraliste : rappel à la citoyenneté, dénonciation parfois de pratiques
douteuses. Pour que le message puisse passer auprès des élèves et qu’il ne
risque pas de se transformer en “la voix de l’administration et des
professeurs”, pour que les acteurs travaillent en toute confiance et qu’ils
ne risquent pas d’être moqués ou de subir des représailles, il nous a semblé
indispensable de travailler avec un acteur professionnel.
Celui-ci assure la qualité du spectacle. Il n’acceptera
pas ce qui pourra involontairement paraître prêchi-prêcha. Il transformera
des scènes difficiles en moments d’émotion intense, de rire ou d’heureuse
surprise. Son professionnalisme mettra les acteurs devant leurs
responsabilités. Il déclenchera chez eux la prise de conscience de participer
à un projet à la fois collectif et personnel important dont la qualité repose
sur l’engagement de chacun. D’autre part, si certains ont des aptitudes
indiscutables, d’autres sont intéressés par le projet mais ne sont pas à
l’aise sur une scène, il faut pourtant que leur personnage “passe” et tienne
les spectateurs en haleine.
Nous n’avons jamais regretté d’avoir fait le choix
d’employer un metteur en scène. Ainsi, il a exigé un planning de répétitions
très précis auquel chacun, enfants, responsables adultes, parents, chef
d’établissement, s’engageait par écrit. C’est la meilleure façon de ne pas
subir des démissions en cours d’année ou des absences.
C’est aussi un moyen d’obtenir le meilleur de chacun :
petit à petit le metteur en scène traite tout le monde en acteurs plus qu’en
enfants ; et, effectivement, même les bouderies et les révoltes font songer à
ce qui survient dans de vraies répétitions, avec de vrais acteurs.
Lorsque le travail demandé devient plus lourd et qu’une
période de doute survient, ce qui nous semble inhérent à ce genre d’action,
nous constatons que personne ne veut abandonner son rôle même si, parfois, il
nous est arrivé d’aller chercher les enfants chez eux pour que tout le monde
soit présent à la répétition.
Cependant il peut y avoir conflit entre les adultes et
le metteur en scène, il suit sa logique qui n’est pas tout à fait la nôtre.
Nous respectons le plus possible son travail, mais nous intervenons parfois,
après nous être concertés, pour rappeler quels sont nos objectifs. Tout s’est
toujours bien passé, même si le premier metteur en scène n’a pas souhaité
renouveler l’expérience parce qu’il trouvait les conditions trop difficiles,
le résultat trop “léger” et trop différent de sa production habituelle.
Cela nous contraint cependant chaque année à une course
aux subventions assez éprouvante.
Nous avons trouvé de l’aide auprès des services
académiques, auprès du Foyer Socio-éducatif du Collège, auprès de
l’établissement lui-même, auprès de la Municipalité de La Mulatière. Notre
premier budget s’élevait à 4000F ; notre metteur en scène, recruté par
l’intermédiaire d’un théâtre local, est rémunéré sur la base horaire de 440
francs TTC.
La renommée de notre spectacle s’installant, nous avons
pu augmenter les heures de mise en scène et travailler dans une moins grande
urgence.
Les horaires de l’atelier font reculer les
professionnels et nous posent beaucoup de problèmes. Nous y avons souvent
réfléchi mais il nous semble impossible d’adopter un autre créneau : les
ateliers se déroulent pendant la récréation, après la cantine, et nous ne
disposons en fait que de ¾ d’heure, ce qui est terriblement court. Mais,
c’est le seul moyen de toucher tous les niveaux, d’avoir un nombre
intéressant de participants et des participants fidèles. Nous avons
l’impression désagréable de nous hâter toujours et de terminer constamment frustrés
pour embrayer directement sur nos activités de l’après-midi. C’est une
contrainte pour tous, acteurs et encadrement. Notre bonne santé budgétaire
nous permet d’organiser, avec notre metteur en scène, quelques répétitions le
mercredi après-midi où le travail avance vraiment (si tout le monde est là).
Précisons que seul le temps du metteur en scène est payé, nous bénéficierons
peut-être de quelques heures grâce au PAE que nous avons proposé.
VI. EVALUATION DE L’ACTION
La première évaluation est le comportement des
spectateurs au moment des représentations. Il a toujours été excellent, même
à nos débuts. La satisfaction a été chaque fois unanime, aussi bien pour les
enfants que pour les adultes. Un groupe d’élèves turbulents, interviewé par
notre animateur du SAFCI, a témoigné de son étonnement et de son admiration
pour la performance des acteurs, de son plaisir lors de certaines scènes.
Nos craintes initiales de représailles à l’encontre des
acteurs lorsque des comportements violents dont on pouvait reconnaître les
auteurs étaient joués sur scène, se sont révélées infondées. La magie du
théâtre agit toujours aujourd’hui sur nos élèves. L’acteur s’efface devant le
personnage ; la scène représentée, même si on la vit tous les jours dans la
cour de récréation, acquiert une dimension totalement différente. Certains
jubilent, d’autres remontent leur capuche pour se cacher. Un professeur
émettait l’idée que, d’un seul coup, à voir leur comportement montré sur une
scène, des élèves qui n’ont aucun recul sur leur attitude parce qu’ils vivent
dans l’instant, parce qu’ils ne lisent pas et ne s’interrogent pas, se voient
soudain dans un miroir que le théâtre leur tend et éprouvent de la honte.
Monsieur Ginet, le
psychologue clinicien avec qui le SAFCI nous avait ménagé une entrevue la
première année, nous a dit que ce type d’action théâtrale était un travail de
symbolisation et que “la symbolisation à l’intérieur d’un groupe faisait
toujours évoluer tout le monde, même ceux qui ont peu de lien avec les autres
ou qui n’assistent pas aux événements”.
Un enregistrement vidéo de la représentation sur le
thème des émotions a été réalisé par la MAFPEN ; il sert d’outil en formation
d’enseignants.
Une autre forme d’évaluation serait de considérer
l’expérience vécue par les élèves acteurs.
- ce
que les adultes ont observé :
Pour chacun des élèves acteurs, le théâtre a été un
facteur d’intégration dans le collège. Il a été un lieu où vivre un moment de
son adolescence, à l’intérieur d’un groupe, en partageant un projet avec des
adultes. Il a permis d’exprimer des difficultés, des doutes, des espoirs, de
la fierté. Des conflits ont surgi et ont été considérés et résolus dans
l’intérêt d’un but collectif. Nous avons eu aussi à parler de certains
problèmes, par exemple du divorce (certains enfants devant passer le mercredi
chez leur père, un autre au tribunal à la demande du juge). Les enfants se
sont sentis moins isolés en constatant qu’ils n’étaient pas les seuls à vivre
cette situation. La jalousie entre frères et sœurs nous a occupés un grand
moment. Nous n’avons pas donné de solutions, mais nous avons écouté.
Le jeu lui-même a permis d’apprivoiser certaines
angoisses : lorsqu’il fallait exprimer de la peur, le metteur en scène
demandait aux élèves de quoi ils avaient peur, et chacun jouait la phrase
qu’il avait trouvée. S’il fallait exprimer la gêne, il y avait toujours
quelqu’un pour dire que ce qui le gênait le plus vis à vis des autres était,
par exemple, de zozoter ou d’être considéré comme gros ; rejouer la scène de
cette gêne, jusqu’à ce qu’elle s’intègre parfaitement dans la pièce et fasse
rire ou provoque de l’émotion, n’a sûrement pas été une expérience anodine
pour ceux qui l’ont vécue. Nous avons tous en mémoire aussi une élève, partie
en SES en fin d’année dernière, qui avait réussi à combattre le handicap
d’une diction très médiocre, aggravée encore par un appareil, et qui avait
joué avec beaucoup d’assurance le rôle très apprécié de la cuisinière.
L’atelier a créé des liens forts entre enfants et c’est
toujours précieux de faire partie d’un groupe. Il a créé aussi des liens
entre adultes et enfants, permettant parfois à ces derniers de se confier.
Le travail hebdomadaire avec le groupe a sûrement aussi
permis aux adultes d’évoluer par rapport aux élèves en général, en
particulier grâce à une meilleure connaissance de leur vocabulaire, de leur
mode d’expression, du «savoir-vivre entre élèves» auquel ils se soumettent,
ce qui permet de relativiser certains comportements.
- ce
que les élèves acteurs en disent :
Nous avons interviewé quelques acteurs pour évaluer ce
qu’eux-mêmes, au bout de deux ans d’engagement, pensaient avoir retiré de
leur expérience.
Ce qui vient en premier, parfois à notre grande
surprise, est le fait d’apprendre à “parler fort”, sans doute à tous les sens
du terme, c’est à dire à se faire entendre aussi par les adultes. Une élève
qui nous paraissait assez insolente et délurée (et même peut-être plus encore
l’an passé quand elle débutait), était visiblement très émue de nous confier
l’importance qu’avait eu cet apprentissage pour elle ; apparemment,
l’expérience avait été importante pour son évolution.
Beaucoup ont apprécié la réalisation collective, le
“ moment cool ” dans la semaine où on peut s’exprimer, certains ont
admiré le travail de mise en scène, ont dit leur plaisir de réussir à se
glisser dans la peau de personnages différents :“on joue quelqu’un qu’on
n’aime pas, c’est agréable d’y arriver, on se défoule, on fait encore pire,
on arrive à trouver de la méchanceté en soi , elle y est, c’est sûr ;
dans la vie on pourrait être méchant si on voulait, on a le choix”. Certains
s’étonnent de ce paradoxe : pour bien jouer, il faut être sincère,
“ tous les personnages sont en nous”. Pour certains bons élèves, il est
très dur de se mettre dans l’état d’esprit d’un élève en échec : “quand j’ai
vraiment envie d’arriver à le jouer, il faut que je me mette complètement
dans sa peau ; par moment j’y arrive, je le comprends et alors je n’ai même
pas besoin de jouer, les sentiments viennent tous seuls”, “il ne m’est pas
indifférent”.
Même s’il y a des périodes de tensions, si parfois on ne
s’entend pas avec le metteur en scène, on l’admire : “elle est bien, elle
explique bien, elle joue bien”. Elle fait d’ailleurs des émules : une élève
nous a dit qu’elle s’essayait à la mise en scène pendant les vacances avec
des amis. En tous cas, l’atelier est un moment de plaisir personnel et collectif : “je joue pour moi et pour
les autres”.
Il y a le moment difficile de la représentation lorsque
le trac vous prend à la gorge : “le cœur se met à battre cinq fois plus
vite”, “j’ai été contente d’avoir surmonté ça. Ca peut me servir de savoir
que j’en suis capable”.
Pour finir, ce qui nous a fait grand plaisir, même si
nous nous en doutions, c’est que les élèves dans leur majorité se sont
approprié les choses. Bien qu’il faille souvent les rappeler à l’ordre, ce
qui parfois nous donne l’impression pénible d’avoir à supporter tout le poids
du projet, ils ont compris l’essentiel : “Je suis responsable de mon
personnage devant le public. Sophie (le metteur en scène) m’aide encore à
l’améliorer, mais c’est moi qui le joue”. Cela nous semble une avancée
considérable dans la prise de conscience de soi.
Du fait que nous étions un groupe à travailler ensemble,
à discuter de l’évolution de la pièce, de ce qui se passait avec les élèves,
d’éducation civique, nous nous sommes plus intéressés à la vie dans le
collège. Nous avons proposé de petites améliorations dans le sens de plus d’égalité
(par exemple maintenant tout le monde fait la queue à la cantine) qui sont
bien passées auprès des autres adultes (nous sommes très peu nombreux).
Par ailleurs, notre collaboration ne s’est pas arrêtée
au théâtre, nous avons mené bien d’autres projets durant ces années :
visites, marathon du jeune reporter, défi lecture …
L’évaluation qui nous tiendrait à coeur serait de
valider la justesse de notre hypothèse. Nous ne le pouvons pas, de nombreuses
actions ont convergé pendant ces trois années pour améliorer le climat à
l’intérieur du collège, la nôtre en a fait partie, simplement. Toujours
est-il que l’ambiance qui règne aujourd’hui au collège nous parait avoir
évolué de manière tout à fait positive. Il y a toujours des conflits et
toujours des sanctions, toujours des mauvaises notes et des heures de colle
mais, incontestablement, la loi règne dans le collège et même la loi du
collège s’est peu à peu répandue dans la rue. Les relations entre adultes et
enfants sont franches et sans contentieux. Les adultes sont toujours des
obstacles aux désirs illimités des élèves mais les élèves ont confiance en
eux et ne les voient pas comme des ennemis. Même si certains cours peuvent
être toujours difficiles à assumer et certaines classes jugées pénibles, les
élèves sourient aux adultes dans les couloirs et leur parlent sans animosité.
Le climat entre enfants s’est aussi considérablement
détendu. Certaines choses ne se font plus, par exemple le racket aux petits
pains, les “moules” ( agressions collectives contre un élève). Il n’y a
plus de caïds. Les relations entre élèves de niveaux différents sont
fréquentes et bien acceptées. La population s’équilibre, la réputation du
collège s’améliore ; en 6°, un bon pourcentage d’élèves vient de milieux
sociaux assez favorisés ce qui n’était plus le cas depuis un certain temps.
Cette année, étant donné qu’une partie du travail
d’écriture s’est faite en classe, les élèves attendent la pièce avec une
certaine impatience. Ce sera la dernière, hélas, puisque le collège ferme en
juin.
ZOOM
INCIDENCE DE
L’ACTION SUR L’EVOLUTION DE TROIS PERSONNALITES
Nous avons choisi de réfléchir aux effets que nous
trouvons les plus visibles de notre action : l’évolution psychologique des
enfants qui participent au groupe.
Nous les voyons tous évoluer et nous sommes persuadés que l’atelier
théâtre a été un moment important de leur vie, a laissé son empreinte. Il faudrait pouvoir faire une sorte de
«diagnostic» de départ pour chaque enfant afin de voir clairement les
évolutions, ce n’était pas notre objet au départ. Nous nous sommes cependant
penchés sur le cas de trois élèves pour lesquels nous avions des éléments
concrets et significatifs.
A la rentrée 1997, Zohra, élève de 6°, est “une enfant
de foyer” : avec ses frères et soeurs, elle a été placée très jeune dans une
institution. Selon ses éducateurs, la fratrie a un fonctionnement très
contestataire : des règles, des décisions, des projets ; avec eux, il faut
sans cesse discuter, défendre sa position, avoir des arguments forts et tenir
les décisions.
Au collège, nous rencontrons des problèmes analogues :
plutôt bonne élève, Zohra sait fort bien mettre à profit son intelligence
pour déceler les failles d’un système où toutes les règles ne peuvent être
écrites, où un consensus informel régule une bonne part des relations. A
titre d’exemple, cet incident en cours : Zohra a été reprise par le
professeur parce qu’elle entrait dans la salle une sucette à la bouche, le
lendemain, le même professeur la reprend parce qu’elle sort de son sac une
sucette... vive protestation : “ce n’est pas interdit de sortir une sucette,
en tout cas, vous ne me l’aviez pas dit”. Sur le bulletin du 2ème
trimestre, tous les professeurs
déplorent l’attitude de Zohra.
L’atelier “Théâtre” est pour elle un lieu d’expression,
et de son refus des contraintes extérieures en particulier : elle participe
activement à la rédaction de scènes où il y a conflit avec des adultes ou
entre élèves ; la recherche d’une chute autre que la bagarre ou
l’altercation, puis son jeu lui permet d’expérimenter des attitudes qui ne
lui sont pas “naturelles” et son plaisir à jouer tous les rôles (l’insolente
comme l’élève polie : “excusez-moi, Madame, je suis en retard, je parlais
avec des copains, je n’ai pas vu l’heure») est évident. On lui a confié le
rôle de celui qui doit dompter son émotion : montée sur le dos d’une camarade
qui porte un masque de zèbre, elle lui parle “calme-toi ma petite émotion…”.
A l’atelier, elle accepte assez bien la discipline du fonctionnement.
Le bulletin du 3ème trimestre pointe moins
les problèmes de comportement et les professeurs soulignent que Zohra s’est
“assouplie”, la contestation n’est plus systématique et la sortie du conflit
se fait souvent par l’humour.
En 5°, on observe que Zohra ne pose plus de problèmes de
comportement avec les adultes qu’elle côtoie au théâtre, des difficultés
demeurent cependant, en particulier avec un nouveau professeur. Nous avons
très nettement “deux Zohra”, comme si elle hésitait entre deux images
d’elle-même, deux expériences de relations ; nous avons misé sur le thème de
cette année : l’image de soi, pour l’aider à faire un choix ; mais, après un
trimestre, elle abandonne l’atelier : le thème “ne lui plaît pas” ; selon son
éducatrice, la question est pourtant pour elle d’actualité, peut-être lui
fait-elle peur ?
Depuis qu’elle a
quitté l’activité “ théâtre ”, Zohra demeure toujours très
imprévisible au niveau de la qualité de son travail. Par contre, elle accepte
les règles de fonctionnement et les réprimandes des professeurs qu’elle
connaît. Mais elle est toujours capable d’une très grande virulence, prête à
déchaîner toutes ses foudres sur ses camarades ou sur un professeur qui ne
lui plaît pas. Elle est par exemple capable d’organiser une pétition.
A la rentrée 1997, Julien, élève de 6°, présente une
certaine instabilité physique (il est toujours en mouvement, d’un pied sur
l’autre, en déséquilibre, etc.) et un malaise dans ses relations : il rougit
beaucoup, bégaie légèrement avec les adultes, et il a de multiples conflits
avec ses camarades garçons : il cherche l’affrontement par des taquineries
maladroites puis pleure, ses camarades le rejettent plus ou moins, il semble
plus à l’aise avec les filles. Il fait beaucoup appel à l’adulte : multiples
“bobos”, médiation dans des conflits, etc. Il manque d’autonomie et d’aisance
relationnelle !
Il vient au théâtre parce qu’il a participé à la
rédaction d’un texte qui lui tient à coeur. Il y est le seul garçon et
valorisé en tant que tel : il joue les rôles de “gros dur” (montre ses
muscles), de séducteur ; lui qui a beaucoup de mal à apprendre en classe,
connaît bien son texte, ne bégaie pas, est très régulier, et surtout très à
l’aise, en particulier lors des représentations où il fait son effet dans un
rôle de prof.
En fin d’année scolaire, Julien a nettement “grandi” :
le rôle du théâtre dans cette évolution n’est pas évaluable objectivement,
mais voir Julien dans ce contexte, c’est observer “un moment de grâce”,
d’équilibre, et nous pensons que cette expérience l’a aidé à supporter les
difficultés quotidiennes et à acquérir une autre image de lui, plus positive
et plus calme. Julien continue l’atelier théâtre en 1998-99.
Les professeurs
trouvent que Julien s’est progressivement affirmé vis-à-vis de ses camarades,
dans une classe pourtant difficile. Il ne rentre plus en conflit avec eux
pour des stylos qui auraient été pris, pour des remarques qui lui auraient
été faite. Il réussit dans des contrôles qui font appel à sa mémoire. Il
prend de plus en plus facilement la parole, sans rougir et sans bégayer,
aussi bien pour rappeler le contenu d’une leçon, que pour expliquer certains
mots, certaines phrases. Son expression est nette, claire. Les relations avec
lui sont devenues agréables aussi bien pour ses camarades que pour les
professeurs. Il semble avoir de véritables échanges avec eux : il peut
parler de lui-même et de sa famille.
A l’inverse,
l’activité “ théâtre ” peut être révélatrice de difficultés et
créatrice de conflits. C’est le cas pour Elisabeth. Elle participe depuis
cette année à cette activité. C’est une très bonne élève de 6°, vive,
agréable en classe, respectueuse vis-à-vis de ses camardes et vis-à-vis des
professeurs. Elle sait toujours bien ses leçons.
Elisabeth, au théâtre, présente une personnalité tout à
fait différente. Elle est insolente, inattentive, ne sait jamais ses textes,
conteste aussi bien le calendrier des répétitions que les horaires : ils
devraient être aménagés en fonction de ses
impératifs. Elle a bloqué le travail de mise en scène par la
méconnaissance de ses textes, elle “récite”… Nous redoutons le jour de la
représentation car nous ne savons pas si réellement elle va jouer. En effet,
elle n’est pas au point, elle prétend ne pas avoir peur mais, en même temps,
elle est très orgueilleuse et ne supporte pas l’échec. Elle a conscience de
notre perplexité et essaye la menace : “je ne serai pas là le jour de la
représentation ”, devant notre réponse ferme elle recule et prétend que
c’était une plaisanterie. Contrairement à ses camarades, il nous semble
qu’elle révèle, dans cette activité choisie par elle et pour laquelle elle
s’est engagée, un inattendu manque de sens de la réalité et de la solidarité
vis à vis de ses camarades.
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