1. Présentation
Deux
professeurs de sciences physiques du lycée Branly font partie depuis
plusieurs années d’une équipe réunissant d’autres professeurs de
sciences de l’académie de Lyon et des chercheurs en didactique des
disciplines scientifiques. Cette équipe a pour projet de fournir aux
enseignants (de physique et de chimie) de collège et de lycée des
"outils" pour les aider à concevoir et à analyser
leur enseignement pour les situations de cours, de TP ou d’analyse
documentaire. L’analyse que cette équipe fait de
l’enseignement de la physique et de la chimie et ses propositions sont
susceptibles d’être concrétisées au quotidien dans une classe. Cela
a été le point de départ du projet co-disciplinaire car il est très
vite apparu que cette concrétisation serait plus efficace pour les élèves
si d’autres matières étaient impliquées.
Le
professeur de lettres est impliqué dans la co-disciplinarité sur le
plan de la formation à l’IUFM depuis plusieurs années : la
lecture des consignes, le travail en équipe d’enseignants stagiaires,
de professeurs de lettres et d’histoire, l’aide individualisée au
collège comme au lycée sous des formes variées, la démarche de l’ECJS
dans le débat argumenté… Depuis un an il participe au séminaire de
l’IUFM sur les innovations institutionnelles visant à constituer un
groupe relais de formateurs. Le travail co-disciplinaire conduit au lycée
Branly permet d’articuler la formation et le terrain de manière très
intéressante car il évite qu’il y ait entre la théorie didactique
et la pratique pédagogique du terrain des écarts irréductibles. En ce
sens il permet de conceptualiser des expériences vécues avec les élèves
et de vérifier des hypothèses
( démarches, méthodes, etc) dans l’acte d’enseignement et
d’apprentissage en situation réelle.
2. Démarche de travail
Le
point de départ a été le constat par les enseignants des deux
disciplines de difficultés durables rencontrées dans l’enseignement
du français, de la physique et de la chimie et confirmées par de
nombreuses enquêtes et recherches depuis plusieurs dizaines d’années.
Parmi
les diverses explications à ces difficultés, deux d'entre elles
paraissent incontournables. Les élèves se détournent de ces
disciplines :
- parce qu’elles les déroutent
;
- parce que le temps
d’apprentissage est trop court compte tenu des difficultés des
programmes.
En
lettres, une réflexion collective est engagée pour éclairer les évolutions
de cette discipline riche et complexe : les actes du séminaire
national d’Octobre 2000 organisé à la Sorbonne et réunis par M
Alain Boissinot sous le titre Perspectives actuelles de
l’enseignement du français en rendent compte très explicitement.
2.1 Explicitation de la démarche en physique et en chimie
2.1.1. Les élèves sont déroutés par la physique et la chimie qu'on
leur enseigne
Les élèves sont déroutés
par la physique et la chimie qu'on leur enseigne parce que la nature des
questions soulevées dans ces deux disciplines et les réponses qu'elles
en donnent, sont, le plus souvent éloignées des questions que se
posent les élèves et de la façon dont ils y répondraient.
En physique-chimie, une expérience
n’est pas choisie au hasard. Il est compréhensible que l’élève,
tenu à l’écart des raisons de ces choix, soit dérouté.
2.1.2 Les élèves jugent difficiles
la physique-chimie
Les difficultés que les élèves
rencontrent en physique et en chimie sont souvent sous-estimées dès l'élaboration
des programmes. Elles ne sont pas tant liées aux contenus qu’à
l’insuffisance du temps d’enseignement. Les programmes sont
essentiellement centrés sur les contenus et ne prennent pas assez en
compte le point de vue de l'élève, la durée de l’apprentissage du
fait des difficultés auxquelles on peut s’attendre et du temps
d’appropriation. Le résultat est que l’enseignant est condamné à
imposer un rythme trop rapide pour la plupart des élèves.
En physique-chimie comme en
français, l’élève est finalement absent des préoccupations des
concepteurs de programmes. En physique-chimie, des résultats de la
recherche sur l’enseignement existent mais restent ignorés des décideurs.
En physique, la difficulté
mal appréciée est facile à démontrer (premier alinéa du programme
de mécanique de seconde par exemple où en une ligne est énoncée une
série de concepts nécessitant chacun des activités prenant bien plus
de temps que ce que les textes officiels préconisent.
2.2 Explicitation de la démarche en français
2.2.1 L’éclatement de la
discipline
La discipline du français
est aujourd’hui éclatée en de multiples savoirs dont témoigne
l’accompagnement des programmes en seconde et première :
-
quatre perspectives d’étude
président , soient : l’histoire littéraire, les genres,
les registres, l’intertextualité, la production et la singularité
des textes ;
-
cinq objets
d’étude en seconde sur sept obligatoires : le récit,
le mouvement littéraire(choisi dans le 19° ou dans le 20°siècle), le
théâtre(la comédie et la tragédie), l’argumentation(démontrer,
convaincre, persuader), le travail de l’écriture ; l’éloge et
le blâme d’une part et écrire, lire, publier d’autre part sont
facultatifs
-
Cinq objets d’étude en première, série générale
à étudier : le mouvement littéraire et culturel entre le XVI et
le XVIII° siècles ; l’argumentation(convaincre, persuader, délibérer ;
les formes de l’apologue, le dialogue et l’essai) ; le
biographique ; le théâtre : texte et représentation
(tragi-comédie, le drame et le théâtre moderne) ; la poésie
-
L’étude raisonnée de la langue
-
La lecture de l’image fixe ou mobile
-
La variété des types de lecture : on parle
de lecture analytique, de lecture intégrale, de lecture cursive
concernant des textes littéraires ou non littéraires , de lectures
d’accompagnement
-
Les registres en seconde : le tragique, le
comique, l’épidictique (admiration ou blâme), l’épique, le
fantastique, le didactique
-
Les registres en première : le lyrique(et
l’élégiaque), le polémique, le satirique( et l’ironique), le pathétique,
le délibératif
-
le sujet
d’invention à l’écrit du bac de français répertorie au moins huit exercices d’écriture possibles pour
transposer, transformer, imiter, reprendre, analyser , confirmer,
réfuter, amplifier ,etc.
-
la deuxième partie de l’épreuve orale du bac ,
l’entretien, offre un champ de questions très étendu :
Après l’analyse du texte par le candidat ,l’entretien élargit la réflexion
par des questions relatives au groupement de textes, ou à l’œuvre étudiée,
mais aussi à une ou des lectures cursives ,à l’objet d’étude
auquel il se rattache, à l’image fixe ou mobile étudiée en
classe….
2.2.2 Les catégories littéraires
-
L’élève méconnaît les catégories littéraires
On relève deux attitudes
caractéristiques de cette méconnaissance chez l’apprenant :
dans un premier cas, l’élève ignore ces “ modèles de référence ”
énumérés ci-dessus : ces catégories abstraites ou théoriques
selon lui n’ont pas d’utilisations concrètes ; il les juge
trop “ compliquées ” et surtout inefficaces la plupart du
temps car il ne les reconnaît pas dans de nouveaux textes ou ne sait
pas les réutiliser dans ses productions écrites : il ne fait
aucune mise en relation entre les différentes notions.
Ainsi le registre épique étudié dans un extrait de l’Iliade
d’Homère (le combat d’Achille contre Hector) sera très
difficilement mis en relation par un élève de seconde
avec un extrait du roman naturaliste du XIX° comme la Bête
humaine de Zola ou la locomotive et son mécanicien rappellent
le combat des valeureux héros de la guerre de Troie. La transposition
du texte épique antique à cette page naturaliste ne va pas de soi. Or,
c’est un problème constant en cours de français qui vaut pour tous
les élèves, quel que soit leur niveau de classe. Ainsi, la lecture de
certains passages épiques du roman de Gargantua de Rabelais sera
rendue encore plus ardue dans une classe de première parce que
l’auteur y mêle à la fois le registre épique et parodique, le
combat de frère Jean ayant pour unique objet de préserver les vignes
de son abbaye de l’armée ennemie ! Nos élèves ont besoin que
l’on prenne en compte ces difficultés.
Dans
un deuxième cas, il les connaît mais de manière confuse et ne
parvient pas à les réutiliser ou à les recontextualiser avec
pertinence. Il voudrait retrouver fidèlement ces catégories. Or, dans
les textes qu’il découvre, les lois d’un genre ou d’un registre
ont pu se modifier selon l’époque, l’auteur, etc. Sa bonne volonté
est mise à rude épreuve. Il se sent piégé et rejette cette complexité
pourtant si riche.
On s’aperçoit donc que ces
deux attitudes traduisent la difficulté de la discipline et produisent
des résistances chez l’élève.
2.2.3 Le français ressenti comme
matière arbitraire
Les élèves ont le sentiment
que le cours de français est arbitraire pour deux raisons majeures :
d’abord l’analyse d’un texte leur paraît très subjective,
soumise à un seul point de
vue, celui du professeur généralement. Dans la mesure ou l’auteur
n’a pas laissé d’écrits permettant d’infirmer ou de confirmer
l’interprétation du pédagogue, l’élève reste persuadé qu’on
peut faire dire à un texte ce que l’on veut et par conséquent, le
commentaire d’un texte est pour lui réfutable. Il ne voit pas que le
professeur se réfère à des catégories notionnelles développées en
cours.
Pour d’autres au contraire,
la lecture analytique d’un texte présuppose l’érudition et
beaucoup de culture. L’élève se sent dépassé par le nombre pléthorique
de connaissances ou de notions à mobiliser et se décourage au point de
se contenter d’approximations.
Ensuite, le français reste
une matière arbitraire dans la correction : “ on ne
peut pas savoir en français quelle note on aura alors qu’en maths, on
le sait ” revient comme une litanie
d’année en année. Ils ignorent les attentes du correcteur, ou
utilisent mal les grilles d’autocorrection sur lesquelles figurent
pourtant le barème par item , ou se découragent devant le nombre de
critères à respecter.
Cela induit une attitude face
au travail inefficace car l’élève va s’en remettre lui aussi pour
une part au hasard, ou à l’arbitraire à l’image de ce qu’il
imagine de la correction. Ainsi, il glane des informations dans l’énoncé
d’un sujet mais n’opère aucune sélection des termes porteurs de
sens, ce qui va lui donner une vision du sujet incomplète et donc erronée.
Ou bien, il ne tient compte que d’une partie de la consigne, en général
celle qu’il pense avoir comprise, et oublie le reste. Enfin quand il
traite les questions posées dans la première partie d’un sujet du
bac de français (composée de deux ou trois questions sur un corpus de
textes centré sur un ou des objets d’étude), il ne voit pas
clairement pour quelles raisons on lui pose ces questions, navigue à
vue, pioche dans sa mémoire des éléments qui pourraient peut-être se
rapprocher de ce qu’on demande sans opérer le moindre tri, sans vérifier
les hypothèses pour voir si ce qu’il pense convient à l’ensemble
des textes ou pas. Il n’a pas acquis une démarche de pensée
suffisamment rigoureuse ni autonome
pour mettre en relation le corpus et les questions d’une part,
les textes entre eux d’autre part, pour mobiliser ses connaissances
sur l’objet d’étude en
les transférant à un nouveau groupement.
Pour changer la représentation
des élèves concernant cette discipline il importe par conséquent de
travailler sur les opérations de transfert des apprentissages et de
donner du sens en rendant explicites les raisons pour lesquelles sont
choisis ces objets d’études, ces textes et ces sujets.
2.2.4 La complexité du français
Le français se définit non
seulement par l’objet qu’il vise mais aussi par les domaines du
savoir auxquels il se réfère. L’enseignement du français tient
compte du public varié des collèges comme des lycées. Pour répondre
aux attentes, l’étude de la littérature doit s’ouvrir à des
genres très divers, dialoguer avec les littératures étrangères mais
également aborder des langages littéraires et non littéraires tel
l’image fixe ou mobile.
L’enseignement du français
se doit par ailleurs de donner une vue d’ensemble des
différentes conceptions et dimensions de la littérature sans en
privilégier aucune afin que l’élève puisse faire son choix en
connaissance de cause. Enfin, cet élargissement s’inscrit dans une
perspective historique, en s’appuyant sur le passé et le présent.
Tout cela contribue à la formation de la culture des élèves. L’étendue
et la richesse de cette formation définit sa complexité et explique en
grande partie que les élèves aient des difficultés à se repérer
dans ce foisonnement de notions, de concepts.
A cela s’ajoute le problème
du temps . C’est un véritable coup de force aujourd’hui de réussir
à maîtriser ces connaissances(5 objets d’étude obligatoires) à
raison de quatre heures hebdomadaires dans les classes S ou ES ou l’on
sait que les élèves pour la plupart se concentrent davantage sur les
matières dominantes. Le rythme d’apprentissage est bien trop rapide
pour un élève moyen. Il finit souvent par faire le choix d’apprendre
ou d’appliquer mécaniquement des connaissances les unes à la suite
des autres plutôt que de prendre le temps de s’interroger sur les
liens que l’on peut tisser entre les textes, des notions, etc. Pour
mieux appréhender la richesse des savoirs fondamentaux il manque donc
un temps de maturation, d’essais et d’erreurs qu’il faudrait
mettre en œuvre pour donner du sens à l’enseignement de la
discipline.
En outre, le professeur est
confronté lui aussi à la gestion du temps et doit concilier
l’exigence du programme, sa complexité dans la mise en place comme
dans la mise en oeuvre ainsi qu’une progression adaptée à sa classe.
3.Analyse du savoir enseigné en
relation avec le fonctionnement de l'élève
3.1. En physique et en chimie : une caractéristique
essentielle de la physique et de la chimie enseignées
Nous pensons que l'une des
clefs de la réussite et de la motivation d'un élève en sciences
physiques consiste à lui permettre de prendre conscience de sa démarche
lorsqu'il analyse une situation expérimentale pour l'interpréter ou
pour en prévoir l’évolution.
Sans
qu'on le lui dise toujours clairement, l'élève doit analyser des
situations matérielles en faisant fonctionner un ou plusieurs modèles.
Nous considérons que lors de telles opérations de mise en relation
l’élève donne du sens au modèle. Elles sont donc indispensables à
l'apprentissage que l'on attend de la physique et de la chimie.
a) Distinction de la situation matérielle et
du modèle qui en rend compte
Nous considérons qu'une
condition première d'un bon apprentissage consiste à aider l'élève
à distinguer les éléments perceptibles de la situation matérielle de
ceux qui relèvent du modèle qui en rend compte. Nous représentons
l’activité de modélisation sous la forme du schéma ci-dessous
(figure 1).
Nous
exprimons ce point de vue en écrivant qu'il faut aider l'élève à
distinguer le monde des objets et des événements du monde des théories
et des modèles. L'élève a tendance à mettre ces deux mondes sur un même
plan.
b) Distinction des connaissances de la
physique et des connaissances quotidiennes (titre à revoir)
La
démarche consistant à faire fonctionner un modèle pour rendre compte
d'une situation matérielle est très souvent rendue difficile par
l'intrusion d'éléments extérieurs au modèle issus généralement de
connaissances et de modes de pensée qui ont cours dans la vie
quotidienne. Or, ce qui fonctionne au quotidien n'est pas toujours en
accord avec la physique et se trouve parfois en contradiction.
Pour apprendre de façon
satisfaisante la physique et la chimie, l'élève doit peu à peu se
discipliner de façon à ne se référer qu'au modèle et/ou à des
observations pertinentes pour le modèle quand il veut valider ses
affirmations.
c) Conclusion
Au-delà
de la confusion des deux mondes et de l'intrusion du quotidien dans
l'analyse, l'opération de mise en relation porte en elle une difficulté
car le modèle est souvent complexe pour l'élève puisqu'il est en
train de le découvrir et de lui donner du sens. Cela explique qu'il ne
se livre pas volontiers à ces opérations de mise en relation (la
recherche l'a montré) et qu'il ne le fait que si l'enseignant l'y
contraint.
3.2 Nécessité de conscientiser la démarche d’analyse en cours de
français
L’enseignant de lettres
aborde le programme comme l’avocat plaide pro domo. Pour lui, les
textes comme les catégories auxquels il se réfère lui sont intimement
familiers. De facto, il est en pays de connaissance. Ceci engendre
plusieurs problèmes.
D’abord l’enseignant
n’a pas une conscience claire des opérations intellectuelles ayant
conduit de manière souterraine chacune de ses analyses. Du même coup,
sa démarche reste implicite dans le cours et l’élève ne peut donc
pas l’identifier clairement pour se l’approprier. Or, si le
professeur ne rend pas explicites les différents processus intellectuels qui lui permettent de conduire
l’analyse d’un texte, s’il ne montre pas les liens qu’il établit
entre des textes ou des notions clés, l’élève n’a pas les
moyens de transférer quoi que ce soit . Il ne peut pas savoir
faire ex cathedra ce travail de mises en relation. On observe donc une
corrélation étroite entre les causes et les effets. Le fait
d’ignorer ou de ne pas rendre explicites les processus intellectuels
en jeu( le programme parle de mises en relation) chez l’enseignant
engendre le même phénomène de carence ou d’occultation chez
l’apprenant .
On
constate que la construction du savoir devient effective en rendant
explicites les mises en relation. C’est l’un des enjeux de
l’enseignement du français aujourd’hui.
La question centrale est
donc de savoir comment le professeur de français peut enseigner cette
compétence portant sur la mise en relation ou le transfert des
apprentissages : quels sont les besoins des élèves ? quels
sont les moyens nécessaires à cet apprentissage ? quels
dispositifs pédagogiques mettre en œuvre ?
4. Les deux choix fondamentaux
proposés pour l’enseignement
4.1. Donner des repères à l’élève pour éviter que
l’enseignement des sciences et du français ne déroute l’élève
4.1.1 En physique et en chimie
a)
Aider l’élève à différencier et articuler sa description des faits
expérimentaux et les théories et modèles qui en rendent compte
b) Expliciter à l’élève les différents
choix des physiciens et des chimistes
4.1.2 En français, donner des repères
pour construire un savoir
a) Le texte de référence
Le repère fondamental que
les physiciens appelle le modèle a en français un équivalent :
il s’agit du texte de référence qui permet de définir les lois
d’un registre par exemple. Ainsi, découvrir la notion de registre épique
en commençant par l’épopée antique d’Homère (un extrait du
combat d’Achille contre Hector dans l’Iliade) constitue un
modèle littéraire en soi suffisamment éclairant pour l’élève pour
servir de repère. Ce texte mis
ensuite en relation avec d’autres permettra de comprendre que les
principes définissant ce registre ont pu évoluer au cours de
l’histoire littéraire,
b) Justifier les choix du professeur comme du
programme
Un vrai travail
d’explicitation est nécessaire pour donner de la cohérence aux séquences
d’apprentissage : pour favoriser l’adhésion de l’élève à
la tâche , il est impératif que l’enseignant justifie explicitement
les raisons pour lesquelles il propose telle œuvre , tel objet d’étude,
telle problématique. Les cours de français paraissent alors moins
arbitraires.
4.2. Enseigner chaque discipline en tenant compte réellement de sa
difficulté
4.2.1 En physique et en chimie
a) Décortiquer
étape par étape le cheminement demandé à l’élève
Le but de cette opération
est d’éviter de mettre l’élève devant un pas trop grand à
franchir (entre ce qu’il sait et la connaissance nouvelle qu’on veut
introduire).
En
français, il semble qu’il s’agisse moins d’un cheminement que
d’un réseau de relations à établir (entre deux objets d’étude,
deux genres, différents registres…). Ce réseau pourrait se présenter
sous la forme d’une arborescence.
b) Tenir compte du fait que l’élève est
souvent en difficulté lorsqu’il a à analyser une situation matérielle
en se référant à un modèle
En physique, il est prouvé
par plusieurs recherches que l’une des difficultés majeures rencontrées
par l’élève réside dans l’analyse d’une situation matérielle
à l’aide d’un modèle (pour interpréter ou prédire).
4.2.2 En français
a) Unifier leurs savoirs par le recours à une
modélisation
L’entreprise du pédagogue
est réussie si est posée clairement la question du sens, la capacité
de comprendre, de réinvestir et de transférer une démarche à
d’autres tâches. Or,
force est de constater que l’élève est désorienté par ce
foisonnement et manque de repères stables et fiables. De même
l’enseignant n’a pas de progression préalablement établie.
L’institution attend de l’enseignant qu’il sache construire et
organiser des séquences didactiques en fonction du programme et de sa
classe. Aucun manuel de lettres n’offre de cadre préétabli au
professeur sur ce point. Rien de semblable en mathématiques ou en
sciences –physiques : le professeur peut suivre le chapitre du début
à la fin. Il n’a pas à élaborer la construction des savoirs parce
qu’elle lui est en grande partie fournie.
Cependant la complexité de
l’enseignement du français pose une nouvelle difficulté à analyser
et à surmonter. En effet, si les lois de Newton s’avèrent irréfutables,
intemporelles et universelles, on ne peut pas parler des lois d’un
genre littéraire dans les mêmes termes . Pourquoi ? Les
genres sont par définition des catégories variables et nombre d’œuvres
en prennent les caractéristiques pour les détourner, voire les
subvertir, où mêlent des éléments de plusieurs genres. C’est
d’ailleurs pour cette raison que l’accompagnement des programmes
propose que l’on voie en seconde la notion même de genre ainsi
qu’une initiation aux cas de mixité et de subversion des codes. La
classe de première aura pour fonction d’approfondir ces notions et
d’en montrer leur évolution à travers l’histoire littéraire.
Il faut donc bien faire
comprendre à l’élève qu’en littérature le modèle se modifie. En
voici une autre illustration pour mieux convaincre: l’étude d’une
œuvre intégrale conduit à soulever les questions de conformité
d’un texte avec les lois du genre dont il relève et à s’interroger
sur la façon dont il les modifie ce qui élargit la réflexion à la
singularité des textes. L’instabilité du modèle littéraire a un
sens comme on le constate par exemple à travers la forme du sonnet :
le sonnet défini par la Pléiade au XVI° siècle va subir au XIX° une
nette évolution et même un travestissement de
forme qui annonce sa décadence au XX°. Sans connaître le modèle
de la Renaissance(de Ronsard, Du Bellay, etc.) il est impossible de le
reconnaître sous sa forme travestie dans le poème Mai d’Apollinaire
extrait du recueil Alcools
b) Tenir compte de la difficulté à établir
des mises en relation et en faire une compétence
L’apprenant croit que
seules les connaissances sont évaluées alors que ce sont également
des compétences, pour ne pas dire des démarches de pensée. Il n’en
est rien aujourd’hui dans l’enseignement du français. A l’oral du
bac de français, on évalue la capacité du candidat à mettre en
relation un texte avec
d’autres, une œuvre et un document iconographique étudiée en
classe, à confronter deux pièces de théâtre marquant l’évolution
du genre, etc. Sans établir de relations entre les deux textes ou
documents, le candidat n’a aucune chance de pouvoir traiter la
question correctement. On s’aperçoit ainsi que cette compétence de
mise en relation permet la réussite de cette deuxième partie de l’épreuve
orale.
Pour éviter d’aborder les
catégories littéraires de manière trop abstraite, il est
indispensable de les étudier en contexte, c’est-à-dire à l’intérieur
d’une ou deux œuvres intégrales(l’une cursive et l’autre étudiée
en classe) ou bien dans un corpus de textes extraits d’œuvres. Ainsi,
pour étudier le genre tragique, l’élève a besoin d’avoir des réponses
à des questions élémentaires pour lui permettre de construire des repères
fiables : un texte de référence(un extrait de la poétique d’Aristote,
d’une préface d’une pièce comme Bérénice de Racine)
servira de point de départ afin que soient clairement poser l’origine
de la tragédie, sa codification à l’époque classique. Ceci tient
lieu en quelque sorte de modèle aux élèves . Il offre l’avantage de
poser clairement les lois d’un genre, d’en définir les principes à
un moment historiquement donné. Il facilite la mise en relation car il
permet à l’élève de s’y référer et de comparer cet extrait d’une tragédie de Racine avec un autre extrait d’une pièce
de Ionesco. Il est à même
de constater les écarts, de mesurer l’évolution du genre tragique et
de prendre conscience que le modèle littéraire a considérablement évolué
au cours des siècles. Il a moins l’impression que le français est
arbitraire.
Actuellement, l ‘enseignant a tendance à croire que l’élève maîtrise ces
connaissances concernant les
lois du genre ou d’un registre et par conséquent se contente de les
rappeler, oralement, allusivement, par un
résumé théorique que l’élève oublie parce qu’il n’a
pas eu par lui-même l’occasion de les découvrir dans un texte. Or
l’apprenant ne peut pas comprendre que le drame romantique remet en
question les lois du genre de la tragédie classique s’il n’a pas lu
et étudié une tragédie classique.
Il s’avère donc fructueux
de donner des repères, des outils, des cheminements
La MER deviendrait donc une
démarche donnant accès au sens des textes, des œuvres et des
discours puisqu’elle offre la possibilité de résoudre un problème
dans un nouveau contexte( un corpus de textes0) que l’apprenant
ne connaît pas. Il nous faut donc maintenant entrer dans une logique
d’apprentissage et pas seulement dans une logique de discipline
4.2.3 Tenir compte des résultats de
la recherche sur l’enseignement des sciences et des lettres dans le
choix des contenus d’enseignement et de la façon de les présenter.
Les professeurs de sciences
physiques ont pu vérifier que les choix fondamentaux proposés aux
enseignants pouvaient se concrétiser dans les classes. Dans le cadre du
projet co-disciplinaire, il a été rapidement clair que la
collaboration avec les enseignants d’autres disciplines, en
particulier les lettres et les mathématiques, était souhaitable. Un éclairage
mutuel de ces disciplines permet aux enseignants de prendre conscience
de leur propre fonctionnement. Nous avons voulu vérifier si les choix
de donner des repères à l’élève et de chercher à apprécier les
difficultés qu’il rencontre pouvaient s’étendre à d’autres
disciplines (moyennant quelques adaptations) et si cela pouvait être bénéfique
aux élèves.
5
. Sur quelles bases repose la co-disciplinarité lettres-sciences
physiques ?
5.1 les deux disciplines souffrent
d’une mauvaise image
elles
rebutent car elles sont
considérées comme trop complexes, trop denses, difficiles, arbitraires
5.2 Les deux disciplines partagent le même
projet
Il s’agit de réconcilier
l’élève avec les sciences physiques et le français en rendant
l’accès aux savoirs plus accessibles. La co-disciplinarité
vise à la réussite de tous les élèves.
5.3 Pour atteindre cet objectif, il
s’agit d’apprendre aux élèves à faire des mises en relation (MER
en abrégé)
L’hypothèse de départ est
qu’il existe des points communs entre la mise en relation définie en
sciences-physiques entre une expérience et un modèle ,et, en français
entre les lois d’un genre ou d’un registre que l’élève découvre
dans un texte de référence(le modèle pour les scientifiques) et
d’autres textes.
La mise en relation devient donc une
priorité à développer car c’est elle qui permet à l’élève de
construire des savoirs. Les élèves
entendent le même discours
5.4 la mise en relation en sciences
physiques et en français a un point commun
Quand il s’agit de faire
un rapprochement entre l’expérience et le modèle ou , entre les lois
d’un genre littéraire et un texte singulier, les deux matières
adoptent une démarche similaire : il nous appartient de mettre en
évidence les similitudes et les différences. On a découvert qu’ il
existe plus de variétés de mises en relation en français qu’en
sciences-physiques.
5.5 l’organisation des séquences
d’enseignement comme les dispositifs mis en œuvre doivent donc
changer pour mieux tenir compte des difficultés des élèves
En voici quelques exemples :
la première tâche est d’expliciter, de justifier nos choix ; la
seconde d’offrir des repères en construisant des outils et des
balises( arborescence des caractéristiques d’un registre en français ;
recours aux registres sémiotiques en sciences –physiques). Il est
indispensable d’inventer de nouvelles activités(typologie
d’exercices)en cours de français pour répondre à ce besoin
d’apprentissage de la MER : le professeur de français tire donc
partie de ce qui existe déjà dans l’équipe des professeurs de
sciences(les registres sémiotiques permettent à l’élève d’appréhender
le modèle et la Mer progressivement)
Il importe également de
maintenir une cohérence entre toutes les activités des séquences et
de vérifier auprès des élèves si elle est perçue clairement.
Enfin cela signifie de
trouver d’autres modalités d’évaluation : il ne s’agit plus
seulement de vérifier si à l’oral du bac de français par exemple
l’élève a acquis ou non la maitrise de certaines notions-clés, il
est davantage question d’évaluer des compétences dont cellede la
MER.
5.6 La situation idéale serait
de conduire la classe jusqu’à l’autonomie dans la
construction des mises en relation
Faire comprendre aux élèves
que même si le professeur ne rend pas toujours explicite le modèle, il
y en a dans tous les cas.
5.7 le partage des mêmes valeurs
Ce travail
co-disciplinaire a été
possible parce que les membres de l’équipe partageaient les mêmes
convictions, les mêmes conceptions, les mêmes valeurs sur
l’enseignement. Sans cette adhésion éthique, ce projet n’aurait
pas suscité l’engagement de l’équipe sur la durée.
Un des points essentiels que
nous avons retenu de ces théories est que l’élève construit son
savoir à partir de ce qu'il sait déjà, que cela provienne de
l'enseignement antérieur ou de la vie courante. En particulier, un
certain nombre de représentations classiques chez les élèves
compromettent souvent un bon apprentissage.
Nous avons également retenu
les points suivants :
- le temps d'apprentissage et le
temps d'assimilation sont souvent longs. Il faut laisser l'élève
s'approprier le problème qu'on lui pose. On intérêt à le laisser tâtonner
et se tromper, à lui demander d’argumenter oralement avec son voisin
de TP ou de cours ou avec le reste de la classe, d’argumenter en rédigeant
des textes à l'écrit.
- proposer une variété de
situations mettant en jeu des démarches différentes car certaines
conviennent mieux que d'autres à l'élève;
- utiliser plusieurs registres sémiotiques
quand les situations s'y prêtent (exemple de l’optique pour laquelle
plusieurs registres sont souvent utilisés (expérience, maquette de modélisation,
schémas, calculs, graphes, simulation..);
- éviter de mettre l'élève
devant un obstacle trop grand afin de le faire adhérer à
l'activité et pour augmenter les chances d'obtenir cette adhésion, créer
des situations avec enjeux exigeant une prise de position induisant une
activité qui tranchera ;
plusieurs dispositifs
existent aujourd’hui au sein de l’équipe dont en voici quelques uns :
L’atelier est
aujourd’hui un lieu d’analyses de pratiques du groupe. L’équipe
assiste à des cours de français et de sciences physiques pour ensuite
confronter avec bienveillance les choix faits par l’enseignant sur la
mise en relation et ses modes opératoires. Dans chaque séquence du
français, une séance est consacrée exclusivement à un travail de
bilan sur la ou les MER avec la classe. Les échanges sont actuellement
de plusieurs natures : ils se font entre professeurs mais également
entre professeurs et élèves qui réagissent souvent de manière
affective sur certains points : si le modèle en français est dans
l’histoire littéraire remis en question, quelles sont ses vertus ?
sa validité ? fiabilité ?
Conclusion
Parmi toutes les
innovations institutionnelles, nous avons retenu celle qui porte sur la
démarche co-disciplinaire pour aider nos classes à réussir leur
cursus scolaire. Parmi tous les besoins que nous avons pu faire émerger
(lecture de consignes ; apprentissage d’un cours, prises de
notes,etc), c’est la nécessité de construire des repères qui
s’est imposée .
Qu’il s’agisse du modèle
scientifique ou d’un texte littéraire fondateur, il existe dans les
deux disciplines des aspects communs que nous nous efforçons
d’expliciter avec nos élèves (lois, codes, principes, règles). Ces
repères mis en relation avec des expériences physiques ou en français,
avec d’autres textes, d’autres problématiques donnent du sens
à l’apprentissage. Tel est l’enjeu de cette collaboration qui peut
s’ouvrir à d’autres disciplines.
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