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Programme National d'Innovation 99-01. (PNI 3) Monographie produite en juin 2001 |
De maux décrits en mots d’écrits …
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Certains enfants
intelligents d’âge primaire, orientés en Institut de
Rééducation, ne manifestent pas le désir d’apprendre à lire. |
Mots clés :
Lecture, écriture, rééducation, troubles du comportement, lecture en couleur
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I - Présentation de l'établissement
Dans l'Institut de Rééducation des Eaux-Vives, géré par la SLEA (Société Lyonnaise pour l’Enfance et l’Adolescence), il y a une école éducation nationale : 6 classes (effectif de 10 du CP au CM2), 6 enseignants. Ce pôle pédagogique vient trouver sa place parmi les autres pôles : le pôle éducatif et le pôle psychologique. L’équipe pluridisciplinaire comprend : un médecin psychiatre, des psychologues, des éducateurs, une orthophoniste, une assistante sociale, des enseignants spécialisés, un directeur d’établissement, une directrice d’école.
Nous essayons au sein de l'équipe pluridisciplinaire de travailler en lien de manière à apporter le plus de cohérence possible face aux enfants que nous accueillons. Ce travail d'équipe donne un sens à la prise en charge et nous sommes tous bien convaincus que chaque pôle est aussi complémentaire des deux autres.
Les enfants accueillis aux "Eaux-Vives" sont des enfants présentant des troubles du comportement, des enfants intelligents, souffrants incontestablement, des enfants difficiles et touchants.
Francis IMBERT les appellera "les enfants bolides, des enfants qui se trouvent partout et nulle part, qui dans un premier temps ne peuvent s'inscrire dans un travail effectif : des enfants qui paraissent désarrimés".
Un de nos objectifs : les aider à se poser, à s'ancrer, les lester un peu d'une certaine manière.
Ce sont le plus souvent "des enfants tout puissants, perdus dans la jouissance d'un sans limite" dira-t-il aussi.
Ils expulsent tout au long de la journée, une violence qu'ils portent en eux et dont ils arrivent chargés : violence de la maison, violence de l'école où ils n'ont été qu'en échec, violence de leur histoire individuelle, violence de la société.
Quelle curieuse idée de les concentrer dans un même lieu... 60 individualités aussi explosives (lequel lieu comprend à la fois l'hébergement, le soin, le scolaire...), tous les ingrédients pour gérer un univers clos, violent.
Quel pari aussi de prétendre leur proposer de découvrir, de renouer parfois avec le plaisir d'apprendre et d'avoir aussi le projet d'une socialisation, d'un mieux-être. Leur intelligence intacte, leur potentiel en tout cas, va nous permettre à nous, pédagogues, de trouver un certain ancrage.
On pose le postulat suivant : nos paroles, nos actes, s'ils ont du sens, pourront être reçus par eux, mais il faudra du temps pour cela. On travaille en fait avec le temps.
On va ainsi mesurer au sein de l'équipe pluridisciplinaire, que lorsqu'un certain nombre d'approches sont pensées, élaborées en commun, le travail avec eux va devenir possible. Une part même de créativité se développera chez les professionnels avec comme prime de plaisir, le plaisir de penser, le savoir partagé.
Dès le protocole d'admission, l'enfant saura qu'il vient dans cette institution pour être aidé mais qu'il va y trouver aussi un cadre ferme, des exigences. Une parole s'échange là, dès les premiers instants et va donner une direction à la prise en charge.
Ces enfants vont nous conduire à la nécessité impérieuse de travailler dans le lien. Ils vont nous obliger aussi à mettre en permanence du tiers entre eux et nous, tellement leur "happage fusionnel", leurs mouvements violents, nécessitent une butée. De la même manière, nous aurons à nous utiliser les uns les autres, comme relais, pour éviter le face à face dangereux. Ils vont aussi nous conduire à apporter des réponses spécifiques à leurs besoins en ce qui concerne la pédagogie.
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II - Nos élèves : leur profil et leurs difficultés en lecture
La population est constituée d’enfants en échec scolaire, depuis la grande section maternelle ou le CP (certains en ont fait deux). La plupart d’entre eux, étaient pris en charge par les R.A.S.E.D (Réseau d'Aide Spécialisée aux Enfants en Difficultés) ou les C.M.P. (Centre Médico Psychologique) parfois les deux. Face au peu d’amélioration, tant au niveau scolaire, que sur le plan du comportement, ces enfants ont été acheminés par le biais de la C.D.E.S. en Institut de Rééducation.
Ces enfants, en général, ne présentent pas de retard intellectuel global. Ils manifestent, cependant, des troubles du comportement massifs, ceux présentant des troubles de la personnalité restant minoritaires dans notre institution. Il semble par ailleurs que des difficultés psychologiques soient venues parasiter leur rapport aux apprentissages.
On peut noter cependant des lacunes importantes au niveau lexical, parfois aussi de la syntaxe à l’oral et à l’écrit. On peut voir aussi des difficultés à segmenter correctement les mots. Certains en sont au stade pré-syllabique.
On constate lors de l’évaluation, le jour de l’admission à l’Institut de Rééducation, qu’ils montrent peu leurs acquis en lecture : parfois quelques mots globaux, d’autres fois une connaissance de l’alphabet qu’ils récitent, soit quelques rudiments de combinatoire. L’intérêt par rapport au sens de la lecture semble exister pour certains d’entre eux et des indices prouveraient que certaines choses ont été engrangées au préalable : ils essaient de trouver des interprétations possibles aux caractères qu’ils perçoivent en s’aidant de leurs minces connaissances (mots outils, quelques mots simples "ingérés" globalement) ou du support de l’image. Ils ont peu d'intérêt par rapport à l'objet lu.
Ils n’ont pas toujours conscience des différences : phrases, mots, syllabe, lettre. Pour certains, cela reste très peu repéré.
Plus tard on remarquera également que ces enfants marquent peu d’intérêt à l’écrit en général et qu’ils semblent peu sollicités par rapport à cela dans leur famille.
Certains autres se présentent avec quelques acquis au niveau de la combinatoire mais ils restent figés dans un souci de déchiffrage qui occulte complètement la question du sens, l’exploration linéaire ne laissant aucune place à la compréhension de l’ensemble du message.
Il semble aussi qu’ils soient très en difficulté quand il s’agit d’analyser en prenant en compte plusieurs critères.
Le problème, pour certains, de mémorisation à court terme gênera beaucoup ensuite la progression dans l’exploration des différents phonèmes et graphèmes
Leur
difficulté primordiale semble se situer essentiellement dans l’analyse
des chaînes phoniques. Le déroulement temporel est peu naturel (ils ont
beaucoup de mal à percevoir la succession temporelle, parfois, ils sont
même dans l’impossibilité de déterminer la première syllabe sonore
d'un mot). A partir de là, on notera aussi l’impossibilité pour
certains de faire des analogies).
On
peut noter aussi leur peu de flexibilité, l’image de la lettre
exerçant une fascination qui empêche toute mobilité.
Ils
sont incontestablement gênés pour transformer les graphèmes en
phonèmes (difficulté à se concentrer, à mémoriser).
Ils
peuvent, d’une autre manière, se raccrocher beaucoup à leur
interprétation initiale du texte et ne pas la remettre en question.
Le
projet de réflexion devrait se situer au niveau de cette articulation.
Comment les intéresser plus au sens et à s'approprier le code ? Comment
passer du découpage de la chaîne sonore qui semble une étape
incontournable (qui est plus aisée chez tout enfant allant bien) à une
lecture plus fluide ?
On
peut dire de la plupart de ces enfants, qu’ils ne seront pas
analphabètes mais que l’on pourrait, sans y prendre garde, les voir
progresser vers l’illettrisme si la lecture ne prend pas une autre
dimension pour eux.
Cependant,
il s’agirait, à l’heure actuelle, de permettre à certains autres
enfants (ceux que l’on oriente vers les SEGPA ou IR – IMPRO) d’atteindre
un véritable niveau de lecteur.
Par
notre travail collectif, durant ces deux années, nous avons : -
réalisé un état des lieux de nos différents outils, (pour en évaluer
la pertinence et mieux cerner leurs différentes articulations). -
analysé la toile de fond qui permet le processus d'évolution (étayage,
prise en compte de la diversité dans les comportements de lecture,
adéquation des réponses par rapport à des interférences
pathologiques). -
tenté d’apporter des réajustements dans nos réponses. -
poursuivi notre objectif : rendre un maximum d’enfants lecteurs
Pour
cela, nous nous sommes appuyé sur :
-
Une mise à plat de nos références théoriques (échange par rapport à
nos convictions) -
Des temps de réunion, de réflexion avec un intervenant extérieur. -
Une enquête au sein de l’équipe (repérage de ce qui se pratique). -
Une observation des enfants dans les différentes classes. -
Une évaluation de certains outils (ex : journal d’école, Fidel
Gattegno). -
Une évaluation des enfants (outils construits à partir de MEDIAL et des
travaux d’E. Ferreiro). -
Une mise en place de nouveaux outils à travers un réajustement de nos
approches.
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Nous avions fait le constat, comme cela a pu se définir précédemment, qu'un certain nombre d'enfants, antérieurement en échec en ce qui concerne l'apprentissage de la lecture, donnait des signes de réinvestissement dans ce domaine après quelques années de pédagogie spécialisée, au sein de l'Institut de Rééducation.
Le
recours à un tiers, l'accompagnateur, nous a conduit à analyser de plus
près nos savoirs-faire, à prendre la mesure, en terme d'efficacité, de
pertinence mais aussi de limites de nos approches.
Ce
travail a essentiellement insufflé une dynamique au sein de l'équipe à
travers les différentes confrontations (confrontation des observations
faites dans les classes mais aussi des convictions personnelles de
chacun).
Cette
réflexion nous a conduit également à repérer le niveau de cohérence
dans lequel nous travaillons et cette prise de conscience a entraîné un
renversement inattendu, en tous cas, peu perceptible dans la conception du
projet de départ : il s'agit de la considération de la notion d'étayage
qui a progressivement pris beaucoup plus de place que nous ne l'avions
envisagé.
Ceci
dit, la prise en compte des soubassements théoriques en ce qui concerne
l'apprentissage de la lecture (constituées par l'apport de certaines
lectures d'articles, par les éléments apportés par l'accompagnateur)
nous ont permis de faire la part des choses entre ce qui relevait d'une
démarche cognitive et celle qui se référait plutôt au psychologique
psychanalytique.
En
d'autres termes les outils techniques sont extrêmement importants, la
démarche pédagogique aussi, mais ce qui fera la spécificité de notre
travail sera avant tout, la manière de "porter" l'enfant. Il
s'agit en fait d'une imbrication de la technique et de l'étayage qui
constitue la spécificité de notre approche pédagogique en Institut de
Rééducation.
Nous
avons donc tenté d'analyser ces différents mouvements et leur
intrication, ce qui a probablement insufflé une autre dynamique à notre
réflexion.
Nous avons aussi pu mesurer nos manques ainsi que les limites de nos interventions… Une des dernières parties de notre travail "ouverture et réajustements" sera d'ailleurs consacrée à l'investigation de moyens complémentaires.
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IV - Constats à partir de l'enquête : L'enquête
(voir annexe) nous a permis de confronter des
représentations différentes quant à la notion de vrai lecteur, ainsi
qu'à celle de non-lecteur absolu.
Elle
nous a, par-là même, conduit à nous interroger sur certains concepts
linguistiques peu maîtrisés jusqu'alors : une terminologie très
précise permettant aussi de mettre de l'ordre dans nos représentations.
Un
constat a pu être fait par rapport à l'utilisation de la combinatoire
(pour tout un chacun, cette phase était considérée comme une phase
simultanée donc ni comme un préalable, ni comme une étape secondaire).
Chacun
des enseignants a pu cependant constater la difficulté pour les enfants
de sa classe à entrer dans le code.
On
a pu repérer aussi une disparité dans l'utilisation des outils
d'évaluation, ce qui nous a conduit à des réajustements. Les
enseignants ont alors utilisé la même évaluation pour les trois classes
du cycle III. Les classes du cycle II ont aussi utilisé le même type
d'évaluation sur le modèle de certains protocoles inspiré des travaux d’Emilia
FERREIRO et construit des outils à partir de MEDIAL pour ce qui concerne
l'écrit).
Emilia
FERREIRO : Psychologue cognitiviste qui a montré comment les enfants
d'âge pré - scolaire s'approprient la langue écrite dès que cette
dernière est présente dans l'entourage. Les enfants écrivent bien avant
d'entrer à l'école. Emilia FERREIRO à travers différents protocoles,
analyse leurs "conceptions" du fonctionnement de la langue
écrite.
Par rapport à l'utilisation des outils pédagogiques, dans les différentes classes, nous avons remarqué des constantes :
-
Utilisation quasi générale des outils Gattegno (Fidel, grammaire
couleurs bien que dans des utilisations différentes selon des cycles). -
Utilisation de l'album, du conte, du texte (donc de la référence au
sens), dans les deux cycles.
Viennent
ensuite trouver leur place, différents bricolages personnels aux
enseignants faisant appel à la manipulation de la langue écrite et orale
(fabrication de fichiers, étiquettes, jeux de lecture…).
La
dimension lecture communication est apparue comme essentielle pour chacun
des enseignants.
L'enquête
a aussi fait apparaître la différence entre les exercices qui étaient
plus de l'ordre du syntaxique ou de l'ordre du lexical dans un meilleur
repérage.
Les
aides spécifiques pointées dans le domaine de l'apprentissage de la
lecture s'énumèrent de la façon suivante : -
Soutien individuel, valorisation, groupes de besoins, pédagogie
différenciée, travaux de groupe, outils GATTEGNO, utilisation de relais,
tutorat, étayage, manipulation de matériel.
On a pu pointer des insuffisances dans l'utilisation de la B.C.D., des insuffisances également en terme d'interactions entre les différentes classes, entre les différents types d'approches proposées (quels liens avec l'activité conte assurée par un éducateur, avec les bibliothèques environnantes ?).
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V - Où en est-on sur ces pratiques là, dans
les différents cycles ? a) A propos de l’apprentissage de la lecture :
Comment essaye-t-on d’articuler le travail sur la lecture du code et celui sur la découverte du sens en classe de petits (C.P, C.E.1) ?
A côté de supports divers, les albums notamment, les outils GATTEGNO (lecture en couleurs) nous paraissent importants : (Outils pédagogiques créés par Caleb Gattegno et utilisés par une partie de l’équipe à l’école Internationale de Genève, utilisés aussi dans certaines écoles primaires et dans l’enseignement spécialisé . Caleb GATTEGNO 1911-1988 était chercheur à l’Unesco. Il a mis au point une solution pour l’enseignement des langues, grâce à un code phonologique en couleurs mis au point pour 60 langues. Il a travaillé avec J. Piaget et G. Cuisenaire pour ce qui concerne les mathématiques (voir annexes).
Il s'agit d'un tableau composé de carrés de couleurs correspondant aux phonèmes de la langue française (le Fidel) : un grand tableau sur lequel tous les graphèmes correspondant aux phonèmes (rangés par couleur) sont écrits. Il s'utilise avec un pointeur, des étiquettes qui dans un premier temps ne sont que des couleurs et qui ,dans un second temps, seront présentées avec les différentes graphies correspondant aux phonèmes étudiés.
Il
présente plusieurs avantages : -
La nouveauté : c’est un outil peu utilisé dans les écoles, ce
qui est intéressant pour les enfants venant du C.P. ou d’autres
classes. -
L’aspect rassurant : lorsque l’on présente le tableau (Fidel) on
sait qu’il y a une limite, une fin, un cadre rassurant puisque tous les
phonèmes et donc graphèmes du français sont là, répertoriés,
classés. -
Le côté ludique : les enfants jouent avec les phonèmes ; c’est
comme une machine, on appuie sur les carrés de couleur, au début on ne
présente pas les graphèmes. A chaque couleur correspond un phonème. -
L’aspect rigoureux : il n’y a pas de contestation possible, l’arbitraire
passe mieux avec ce support perceptif. -
L’aspect facilitateur : le travail de discrimination auditive se
fait aisément, la correspondance graphème-phonème ne pose pas de
problèmes. -
La rapidité d’acquisition : très vite, avec six couleurs, il y a
de nombreuses combinaisons possibles. En plus du Fidel, les enfants
manipulent des étiquettes de couleur, ils sont attentifs à tout ce qu’ils
entendent, on peut travailler sur les inversions ( li, il…) les
transformations (poule, pile, pale,…)… -
L’aide pour un passage simultané à l’écrit : très vite les
enfants peuvent écrire des mots, ils découvrent les graphies dans une
progression qui ne va pas forcément du plus simple au plus compliqué,
par exemple : ils connaissent le « i » mais ils
savent qu’on peut l’écrire aussi « y » ou
« hi » ou « it »…selon les mots où on le
rencontre, les prénoms de la classe, des mots vus dans diverses lectures.
Ils n’hésitent pas à écrire, s’ils ne connaissent pas quelque chose
ils font un petit trait, par exemple le chat m----- une souris pour le
chat mange une souris, les enfants jeunes n’ont pas peur de se tromper :
si on ne sait pas, ce n’est pas grave, on l’apprendra plus tard.
Cet
outil oblige les enfants à se centrer plus, à se concentrer donc. Ils s’intéressent
à la multiplicité des combinaisons faisant appel à des opérations
mentales : addition, inversion, substitution, insertion.
C’est
un outil qui favorise une mise en mémoire, les enfants ont un sentiment
de maîtrise des combinaisons, ils sont obligés de mentaliser avant de
dire, de découvrir un phonème, un mot.
L'aide
apportée à la concentration est très importante. Lorsqu’on pointe sur
le tableau trois couleurs à la suite, on leur demande de ne lire que
lorsque le pointage est terminé. Cela leur demande une intériorisation
et donc une certaine distance.
Les
enfants ont tous un grand plaisir à travailler ainsi, ils sont vite en
réussite. Ils manifestent une jubilation intense et une certaine fierté
; ils sont actifs et peuvent trouver tout seuls différentes combinaisons
et s’intéresser au sens des mots.
En
parallèle, on travaille sur le sens des textes, de façon séparée au
début de l’année, puis de façon croisée au bout d’un mois environ.
Tout
au long de l’année, les enfants sont imprégnés de lectures de contes
afin de les aider à constituer des références communes.
Très
vite les enfants font des rapprochements avec des choses déjà entendues,
ils se régalent de mots ou d’expressions ; par exemple, « prendre
la poudre d’escampette » est devenue une expression favorite de la
classe.
La
lecture d’albums est un support utilisé, dans un premier temps d’une
façon assez globale : reconnaissance de mots, de petits mots-outils
et progressivement en lien avec la lecture en couleur (découverte de
graphèmes et phonèmes) ; les enfants font des rapprochements d’eux-mêmes
entre la lecture en couleurs et la lecture de textes.
L’activité
de construction de sens se fait alors assez aisément car ils ont saisi
progressivement l’articulation grapho-phonologique par rapport au sens. Les
difficultés rencontrées souvent spécifiques à ce type d’enfants : -
Les interactions sont difficiles, voire impossible, lorsque ce n’est pas
à eux personnellement de lire ou de dire, ils ne veulent pas écouter l’autre.
Ils se démobilisent complètement lorsqu’ils n’ont pas l’exclusivité.
Une façon de contourner le problème est de s’organiser pour qu’ils
aient quelque chose à faire en même temps (manipulation d’étiquettes,
écriture sur l’ardoise) ; les interactions n’existent que dans une
triangulation entre l’enseignant et deux élèves. -
La mémorisation : pour certains retenir la couleur, le phonème et le
graphème posent quelques problèmes, il y a une certaine surcharge. On
remarque une lenteur d’intégration. Pour ces enfants-là, il est
important de prendre son temps, de ne pas hésiter à répéter. C’est
le passage à la symbolisation qui bloque. Les activités doivent être
fortement ritualisées : permanence du cadre dans le temps et le lieu puis
dans la mise en route d’une activité. -
La confrontation à sa non-maîtrise des choses : certains enfants
peuvent se mettre très en colère s’ils ne se souviennent plus de
quelque chose, ou s’ils ont une difficulté quelconque. A ce moment-là,
il faut les rassurer, les valoriser, les aider à restaurer leur image,
ceci peut exister par le lien et la relation stable, la confiance qu’ils
peuvent avoir dans l’adulte qui est en face d’eux. Un enfant a pu dire
« tu n’es pas comme maman, toi, tu tiens tes
promesses ! » -
La crainte qu’on les oublie : ils ont une telle peur de ne pas
exister qu’ils réclament sans cesse l’attention, souvent de façon
agressive avec les autres, ou de façon provocante par le non-respect des
règles de vie. Tout un travail sur le cadre est mis en place afin que
chacun sente qu’il a bien sa place comme les autres, que les règles de
vie collective sont garantes de leur sécurité. Des contrats individuels
sont mis en place par rapport à leur comportement, aux efforts
particuliers ceci en référence aux ceintures de comportement et aux
« conseils de classe » (outils de la pédagogie
institutionnelle de Vasquez et Oury). -
Ceintures de comportement : grille d’évaluation du comportement
sur le modèle de la gradation en judo (de la ceinture blanche à la
ceinture noire). -
Conseil de classe : réunion hebdomadaire où se traitent les
conflits, s’élaborent les projets.
b) La production d'écrits dans la classe P2 :
Les enfants de cette classe viennent pour la moitié de la classe P1 (classe des jeunes enfants aux Eaux-Vives) et pour l’autre partie d’écoles ordinaires (de CP ou de CE1).
En
début d’année, la plupart des enfants refusent massivement d’écrire
quel que soit le contexte d’écriture.
Ce que j’observe :
-
Souvent les enfants venant d’écoles ordinaires disent qu’ils ne
savent pas écrire, qu’ils vont faire des erreurs. Ils n’ont pas
confiance en eux, se désespèrent très vite et se dévalorisent. -
Quelques enfants refusent d’écrire car le geste d’écriture leur est
laborieux. -
Quelques enfants écrivent et ne peuvent pas se relire. Ils ne comprennent
pas et voudraient que le code soit comme ils l’ont établi. -
La moitié des enfants dit ne pas avoir d’idées pour écrire. Ils ne
savent pas quoi dire. -
Les enfants venant de la classe P1 peuvent essayer d’écrire en s’appuyant
sur le tableau de lecture couleur, ils osent un peu demander que j’écrive
pour eux des mots et ont moins peur de produire. -
Quelques enfants recopient des phrases sans forcément être dans le
contexte d’écriture. Ils remplissent de l’espace. -
Peu d’enfants ont une démarche de recherche pour écrire : ils ne me
demandent pas d’aide, ne me demandent pas de mots au tableau, ils ne
cherchent pas appui dans les livres ou les textes de la classe, ne font
pas de liens, réutilisent peu leurs acquis. -
Dans le contexte de dictée à l’adulte, collective ou individuelle, ce
sont essentiellement les enfants de la classe P1 qui participent (donc
ceux qui ont déjà bénéficié d’une pédagogie spécialisée). Pour
les autres, la dictée se limite à une ou deux phrases simples et
courtes, sans lien entre elles. C’est une juxtaposition d’évènements
qui leur ont plu. -
Même à partir d’évènements vécus et marquants pour la vie de la
classe, les enfants cherchent peu à communiquer, ils oublient des
évènements, il n’y a pas de chronologie, le discours est très
égocentrique. -
L’écrit est difficilement communicable à quelqu’un d’extérieur à
la classe.
Je constate donc en début d’année un rejet important de l’acte d’écrire que je comprends de la manière suivante :
-
Un sentiment d’échec important face à l’écriture. Quelques enfants
voudraient savoir écrire ce qu’ils veulent sans difficulté dans l’immédiat
et si ce n’est pas le cas, ils abandonnent, beaucoup d’entre eux
désespèrent et sont touchés profondément de ne pas savoir-faire. -
Quelques-uns refusent de laisser une trace de leur travail, de leur
pensée, des évènements marquants pour eux : quelque chose n’est
pas communicable, pas pensable peut-être, pas représenté peut-être
aussi. Ils ne dictent pas à l’adulte, ils détruisent leurs essais de
production… -
Des enfants paniquent et recopient les consignes, des morceaux de textes
comme si l’écrit n’avait aucun sens, pouvait faire illusion. -
Beaucoup d’enfants sont confrontés à un manque, un vide, à une
pauvreté de leur vie imaginaire pour pouvoir écrire. -
La pauvreté du langage oral de ces enfants handicape aussi le passage à
l’écrit. -
Une fragilité de la concentration. -
Une difficulté à réinvestir leurs connaissances et les outils dont ils
disposent pour les aider à écrire. Mais
ils ont aussi des qualités importantes qui pourraient les aider dans l’acte
d’écrire. -
Nous avons proposé des tâches d'écriture inspirées des travaux d’Emilia
FERREIRO qui demande aux enfants d’écrire des lettres, des chiffres,
des mots puis des phrases. On s’aperçoit que les élèves distinguent
assez bien les lettres des chiffres et les mots des phrases. -
Tous les enfants essaient de respecter une correspondance
grapho-phonétique. Les enfants cherchent des indices dans les affichages
de la classe ou dans leurs acquis pour écrire ce qui leur est demandé.
Presque tous les enfants segmentent leurs phrases en mots. Ils
construisent tous des phrases avec du sens. -
De plus, en questionnant les enfants sur le sens du mot
« écrire », on s’aperçoit que les enfants évoquent d’abord
le geste d’écrire et la belle écriture. Ensuite nombre d’entre eux
font le lien entre lire et écrire, entre parler et écrire, et proposent
des exemples d’écrits communicables. La notion de communication dans l’acte
d’écrire est donc bien présente pour ces élèves.
Il
s’agira donc de leur offrir des outils pour écrire et renforcer la
notion de communication mais il s’agit aussi de tenir compte d’autres
difficultés par rapport à l’estime de soi et à leur imaginaire qui
les gênent pour écrire malgré leurs connaissances certaines.
Pour
rassurer les enfants, j’ai pu proposer différents outils pédagogiques
qui aident à produire : -
Le tableau de lecture Gattegno qui permet aux enfants de rechercher tous
les sons qu’ils entendent dans les mots qu’ils veulent écrire et
ainsi produire un écrit lisible par tous sur le plan phonologique. C’est
donc compréhensible, communicable et rassurant pour les enfants de
pouvoir être compris. -
Le tableau de grammaire couleur, qui, rempli collectivement sur un thème
proposé, permet aux enfants d’avoir accès à du vocabulaire varié, à
des noms, adjectifs, verbes multiples. -
Des supports de références comme les affichages, les textes étudiés,
les livres dans la classe… -
J’accepte, dans un premier temps, d’écrire les mots que les enfants
me demandent. Ils peuvent donc se centrer sur la cohérence de leur écrit
et sur leurs idées sans devoir gérer en même temps toutes les
difficultés d’écoute des phonèmes pour écrire
« correctement ». -
L’utilisation de « Mes outils pour écrire »
(Ribambelle) : il s’agit d’un dictionnaire imagé, dont les mots
sont classés par thèmes et qui présente de nombreux mots utiles et
courants pour les enfants. Ce lexique en images est complété par d’autres
thèmes rencontrés par les enfants de la classe (vocabulaire spécifique
de la ferme après une visite de la classe par exemple). - Des consignes restrictives qui peuvent être rassurantes car elles sont limitées.
Les
élèves ont besoin de supports pour penser : -
Il faut les aider dans cette démarche de pensée. Il leur est difficile d’être
seul à ce moment là. Il faut être présent et encourageant auprès d’eux,
favoriser le travail de groupe mais des actions individuelles les aident
aussi. Là encore, l’ancrage perceptif est important ainsi que les
rituels qui ont pour fonction de les rassurer. La variété des outils
pédagogiques ne les déstabilise plus quand ils prennent place dans leur
univers comme quelque chose de l’ordre du connu. Il faut donc beaucoup
répéter, ritualiser les activités. -
Le travail de recherche collective de vocabulaire ou d’idées, de
structures de phrases sur le thème proposé : ces propositions
peuvent souvent être mises en valeur dans le tableau de grammaire en
couleurs. Ainsi
un enfant de la classe a pris beaucoup de plaisir à imaginer et à
décrire une sorcière en utilisant des structures répétitives :
Elle est + adjectif ou Elle a + déterminant + nom éventuellement un
adjectif mais cela l’a aidé dans sa production. -
L’utilisation du support imagé des outils pour écrire les aide dans
leur pensée. Ils ont besoin de feuilleter le livret pour trouver une
image qui leur plaît ou qui correspond à ce qu’ils recherchent pour se
donner des idées. Ainsi
après la visite à la ferme, peu d’enfants pouvaient retrouver seuls ce
qu’ils avaient vu et ils avaient besoin de voir les animaux dessinés et
nommés pour se lancer dans la production. Il faut pourtant être très vigilant au sens qu’ils portent à leur texte car ils pourraient se laisser emporter par les mots, une structure grammaticale, une image ou le plaisir de la répétition et « oublier » pourquoi ils écrivent. Il s’agit de se faire plaisir mais aussi d’être compris, d’être lu, de communiquer et de répondre à des exigences (consignes).
Les
enfants ont besoin de réassurance, d’encouragements : -
Il faut leur redonner confiance en eux et bien adapter les consignes afin
qu’ils ne se sentent pas trop en échec. -
Il faut beaucoup les aider à commencer car souvent ils restent face à
leur page, ne peuvent pas dire ce qu’ils ont en tête mais une fois qu’ils
ont commencé et se sont à nouveau approprié la consigne, ils semblent
écrire avec plaisir et donner du sens à leur production. -
Le travail par deux favorise les réalisations écrites car les enfants s’entraident,
échangent leurs idées et tentent de suppléer aux difficultés de l’un
ou de l’autre. Toutefois, ce travail par groupe peut rester difficile et
aléatoire selon l’état « d’humeur » de l’un ou l’autre
des partenaires, les interactions demeurant peu aisées. Essayer
de donner plus de sens à la communication et pour cela : -
Motiver les enfants par des modes de communication valorisantes :
affichages, exposés, lettres, y revenir souvent car leur premier
mouvement est de le refuser. -
Nécessité de pouvoir se relire et être lu. Cela rappelle le principe de
réalité (bien difficilement accepté par les enfants) pour pouvoir
communiquer par écrit.
Les
enfants refusent moins d’écrire et après un premier moment d’hésitation,
ils le font avec recherche. On
peut noter : -
Un plus grand plaisir à écrire et un respect plus important des
consignes. -
Un travail par deux, possible, avec un travail en commun. -
Des productions plus longues et plus riches. -
Des repères et une utilisation des outils proposés. -
Toujours des difficultés au niveau des liens. (On accède aux phrases,
pas encore à la production de texte.) -
Les enfants produisent du sens mais ils font peu de liens entre leurs
phrases. Il s’agit plutôt d’une juxtaposition de phrases. -
Des difficultés à reprendre, à enrichir un écrit. Si on doit reprendre
une production, le sentiment d’échec est encore très fort. Réécrire
est vécu comme si l’écrit était mauvais et l’enfant se sent alors
« mauvais » lui-même. -
De meilleurs résultats en évaluation, cependant globalement.
c) L’anticipation en lecture pour une classe de type CE1
« En septembre, je me retrouve face à dix élèves avec le projet de leur faire acquérir un niveau général de fin de cycle des apprentissages fondamentaux au mois de juin. Dix élèves qui ont un rapport singulier à l’écrit. Il me semble que les compétences d’analyse (connaissances du code) fonctionnent par rapport aux compétences de synthèses (donner du sens au code) de manière inversement proportionnelle. Il faut dire que ces élèves ont résisté avec plus ou moins de fermeté à plusieurs années d’apprentissage de la lecture entraînant des situations parfois paradoxales de déséquilibre. Un peu comme un enfant qui ne voudrait pas dépasser le déséquilibre nécessaire à la marche à pied, qui n’accepterait pas vraiment de ne plus tomber mais qui ne peut pas faire autrement qu’obéir en partie à l’injonction sociale qui pèse sur l’homme « marcher debout sur ses pieds ». Il trouve sa propre façon de marcher en boitant. Je me représente ces apprentis lecteurs comme tiraillés entre l’injonction « tu apprendras à lire et écrire », et leur angoisse de grandir, de savoir, de ne pas savoir, de mettre à défaut leur toute puissance.
Mon travail consistera donc à proposer un certain nombre d’étayages que je voudrais rapidement présenter. Il me semble que cette démarche peut être transposée utilement à certains apprenants en difficulté, maintenus dans leur école élémentaire.
Une activité de lecture motivante : J’ai constaté que les exercices du type « textes à trous » qui permettent de travailler sur l’anticipation, sur un texte en fonction du contexte, sont perçus comme ludiques. Il s’agit de trouver les mots cachés. Cela renvoie à des expériences archaïques de dévoilement, de ce qui se cache. D’autre part, le verbe trouver renvoie à une action dynamique active dans laquelle le « chasseur » peut facilement s’investir. Ici, le lecteur devient chasseur de mots. Je choisis de fonder cette activité sur des albums en étant attentif aux possibilités de transferts affectifs qu’offrent les personnages. Certains formulent des liens entre leur expérience et celle vécue par les personnages. Enfin, je propose une fois la lecture terminée, d’aller lire le récit à des élèves plus jeunes. Je mise ici, sur la motivation, contenue dans la communication.
Une activité ritualisée : Les enfants ont besoin d’un cadre fort, une activité contenante. La ritualisation permet de rentrer plus rapidement dans l’action, de faire l’économie de consignes dont la représentation peut constituer un obstacle. L’exigence sera progressive et l’on pourra jouer sur les variables didactiques afin de différencier la pédagogie : une activité qui va du collectif à l’individuel visant une recherche d’autonomie. Au départ, l’élève est rassuré par le fait de ne pas se retrouver seul face à la difficulté. Il se fera porter par le groupe classe avant de se risquer à proposer un mot. Il prendra progressivement conscience de sa capacité à réaliser le but de l’activité : trouver un mot valide sur le plan de la syntaxe et sur le plan sémantique. L’erreur dans ce cadre là ne sera plus vécue avec la même violence. Passé Noël, je propose parfois une lecture silencieuse du texte à trous et une formulation des résultats de la recherche écrite et individuelle. Deux élèves travailleront dans le cadre d’un tutorat mais avec des élèves d’un niveau proche du leur, de façon à ce qu’ils ne se laissent pas trop porter et qu’ils ne se vivent pas de façon trop dévalorisée par rapport au tuteur. Grâce à la période de travail collectif, l’élève aura apprivoisé l’activité à son rythme. L’exigence de l’activité scolaire n’est plus vécue comme persécutrice.
Une activité qui fonctionne par imprégnation : Au fur et à mesure que le texte est découvert, les affiches à trous sont conservées. Quotidiennement, les élèves commenceront la séance de lecture par la relecture des affiches précédentes. Ils devront avoir mémorisé les mots manquants. Cette imprégnation permet aux élèves qui sont le plus en difficulté dans l’analyse des graphèmes, de décoder l’écrit par prise d’indices. L’étayage que constitue l’imprégnation permet à certains de faire l’expérience du plaisir d’oraliser une lecture.
Une activité en rapport avec les outils Gattegno : Ces outils ont été présentés par les collègues, précédemment. Je ne donnerai que deux exemples illustrant la manière dont ils peuvent constituer un étayage. Lors de la phase de décodage, le "Fidel" est utilisé par plusieurs élèves qui recherchent les graphèmes regroupés autour d’un phonème. Je me sers de la grammaire en couleur, pour annoncer la nature grammaticale du mot à trouver.
Une activité qui se déroule sous le regard de l’enseignant : L’attitude que j’ai au cours de la séance est essentielle. Un mot de trop, un silence peut tout faire échouer. J’illustrerai cela par un exemple. Lorsqu’un élève s’est risqué pour la première fois à oraliser sa lecture, j’ai senti qu’il fallait que je ne fasse pas cas de l’événement. J’ai eu l’impression que l’élève avait oublié que je ne devais pas savoir qu’il pouvait lire. C’est comme si les mots lui avaient échappé tant à ce moment là son désir de lire était plus fort, que son angoisse de grandir. Comme un enfant qui ne marcherait que lorsque l’adulte ne le voit pas ? Si j’avais exprimé à ce moment là mon émotion de l’entendre lire, je pense que cela lui aurait renvoyé une émotion qu’il n’aurait pas pu maîtriser. Peut-être aurait-il mis plusieurs semaines à se risquer à cette même expérience. J’ai simplement fait remarquer « froidement » une fois la séance terminée que je l’avais entendu lire pour la première fois.
En
conclusion, je dirai que devenir lecteur, c’est franchir quelque chose,
c’est accepter de perdre quelque chose pour grandir. Certains de nos
élèves formulent explicitement leur refus de grandir, d’autres de
façon implicite. Je dois à la fois trouver des étayages qui constituent
des conditions facilitantes tout en veillant à maintenir un niveau d’exigence
en particulier pour ne pas favoriser les fantasmes de toute
puissance. »
Analyse faite par les enseignants de ce cycle :
Le travail fait au cycle 2 a permis d’agir sur le refus de lire et écrire. Les élèves sont plus sécurisés dans les apprentissages, l’apprentissage n’est plus vécu comme une menace d’anéantissement. Un travail essentiel a été fait à ce niveau là au cycle II.
Les élèves sont lecteurs, maîtrisent pour la plupart le code.
Le
travail au cycle 3 est centré plus fortement encore sur : -
Le lien entre langue orale et langue écrite - La construction du sens et des fonctions de l'écrit (visées communicationnelles). L’ouverture de domaines de référence qui aident à la construction du sens, permet de réduire les obstacles dus au manque de lexique.
Au cycle 3, on part de la langue qu’ils se sont appropriés, et on essaie de l’améliorer.
Dans
la démarche, on essaie au cycle3, de poursuivre la mise en évidence de
la logique de la construction de la langue, pour : -
Montrer aux élèves que l’arbitraire dépasse le maître (règles
culturelles de construction de la langue) -
Faciliter la mise en lien, leur faire prendre conscience de ce qu’ils
savent déjà, et rendre la langue écrite plus accessible pour eux.
Il
s’agit donc de rendre les élèves plus attentifs aux aspects formels de
la langue, de leur permettre de s’en servir comme instrument d’investigation
et d’interprétation, et de se doter d’une langue écrite plus
assurée.
Le
Fidel : au cycle 3, le tableau en couleurs Gattegno est davantage utilisé
pour le repérage de graphies particulières. Il est un support outil à l’observation
des différentes composantes orthographiques : repérage de la ligne
« accords », des conjugaisons, exceptions, ajouts de lettres
muettes finales en lien avec l’étymologie et les familles de mots,…Au
cycle 2, le code est présenté dans une visée de maîtrise de la
combinatoire. Au cycle 3, on s’intéresse davantage à repérer comment
sont construites les règles autour du code. Le tableau reste parfois un
outil privilégié par certains enfants dans le décodage de mots
nouveaux.
Le
tableau de grammaire en couleurs : on poursuit le travail de segmentation
de la phrase en repérant la nature des mots. On enrichit également le
lexique par l’emploi de synonymes, et on poursuit le travail sur les
accords par substitution (groupe nominal / pronom, par exemple). On essaie
de mettre en mémoire des structures textuelles plus élaborées :
adjonction
de mots connecteurs, propositions relatives, adverbes…
Le
travail sur la fonction des mots : on travaille sur la fonction des mots
de la phrase (sujet, compléments..), c’est déjà élaborer une pensée
abstraite sur le fonctionnement même de la langue. Nos élèves
présentent des difficultés d’abstraction : ils semblent collés
au concret, ont du mal à faire des liens entre les notions, ont des
difficultés à organiser leur pensée pour donner une règle générale.
Il semble rassurant pour eux de se référer à un modèle unique, un seul
exemple prenant alors valeur de loi générale. Pour ce travail sur la
fonction des mots, l’utilisation du modèle de Britt Mary BARTH
(« L’apprentissage de l’abstraction ») paraît
intéressante. Il s’agit, par des exemples « oui » ou
« non », de faire repérer aux élèves les caractéristiques
essentielles de la notion à acquérir. Cette démarche permet de
travailler sur le sens (signification) du concept, et non sur la forme
(critères visuels pouvant induire en erreur). Ainsi les élèves
construisent eux-mêmes les questions et indices qui leur permettront de
reconnaître la fonction des mots.
Le
tableau en couleurs est ensuite utilisé pour effectuer des substitutions
qui incluent à la fois la nature des mots et leur fonction (par
exemple : « le » est déterminant, mais il peut être
pronom s’il remplace un GN C.O.D….), ce qui permet de proposer des
phrases beaucoup plus complexes.
a) Langue orale et argumentation : parler pour penser
Le Conseil de classe : Il est utilisé dans toutes les classes. C’est un lieu de parole hebdomadaire de ¾ d’heure, un espace symbolique défini quant à sa durée, son projet, sa périodicité et sa place dans l’emploi du temps. C’est un espace temps reconnu par tous, qui garantit à chacun un temps personnel de communication.
Il permet aux enfants d’élaborer une pensée par rapport à leurs actes, et de mettre des mots sur ces actes. La langue est un outil de communication aussi bien dans la colère que dans les projets ou les gratifications.
Le Conseil aide aussi à l’élaboration de la langue en donnant des modèles de structures de phrases, en enrichissant le vocabulaire et les représentations, et en développant l’analyse et l’argumentation.
Interaction et négociation : Dans les classes du cycle 3 sont mis en place, au-delà des Conseils, des ateliers de négociation graphique, des productions collectives d’écrits à partir d’images visuelles, des reconstitutions de textes.
Importance de l’interaction dans la construction de la langue et de la pensée
Permettre
l’interaction avec ces enfants, c’est : -
Mettre en mots tous les questionnements, arguments et hypothèses, pour
faire des liens, se remémorer des règles ou des notions acquises, entrer
dans une démarche de tâtonnement. -
Donner à l’erreur un statut d’outil de recherche. -
Argumenter ses choix, donner son opinion et la défendre. On ne peut
modifier sa réponse que si les autres sont argumentées et si l’on y
trouve une logique, sinon on reste sur sa première opinion. -
Mettre l’oral au service de la pensée : mettre des mots sur sa
pensée, c’est la faire exister, en prendre conscience. C’est aussi
prendre conscience que l’on sait des choses et qu’on peut les mettre
en lien les unes par rapport aux autres. -
Négocier implique à la fois de savoir qu’il existe des règles, des
repères, pour pouvoir donner une réponse conforme au code, et accepter
de se les approprier en interaction, c’est-à-dire pouvoir compter sur
la pensée et l’argumentation des autres pour se guider dans ses choix,
tout en sachant que les autres comptent aussi sur notre propre
raisonnement. -
Le fait que les enfants prennent du plaisir à s’approprier ces outils
et méthodes, peut leur permettre d’envisager de parvenir à s’en
passer plus tard. Ils pourront continuer à élaborer leur pensée sans
ces outils, ou en les utilisant de manière autonome (« désétayage »).
b) Travail sur le lexique Comment faire acquérir le lexique aux enfants ?
La
difficulté d’acquisition du lexique réside dans le fait que celui-ci s’acquiert
de façon implicite à l’occasion des diverses rencontres et
expériences que nous menons tout au long de notre vie.
Ces
rencontres peuvent avoir lieu de visu quand nous découvrons réellement
les objets, les matières, les personnages, ou quand nous ressentons par
nous même les sensations, sentiments, émotions qui renvoient à un
vocabulaire précis ; cette possibilité est malgré tout limitée et
ne nous permettrait pas de dépasser notre vécu quotidien qui se limite
au temps et à l’espace de notre vie. C'est pourtant celle-ci qui se
révèle être pour une majorité d’entre nous l’apport principal du
champ lexical.
Il
existe une deuxième transmission qui est celle de l’acquisition à
distance, j’entends par-là la découverte d’un lexique ne
correspondant pas à notre expérience personnelle mais celui provenant de
ce que nous lisons, entendons, écoutons, voyons au travers de l’expérience
d’autres personnes qui ont lu, vu ou redécouvert et qui disent,
racontent ou montrent. Par-là, nous avons accès à tout ce qui a existé
et existe.
Notre
champ lexical sera donc d’autant plus riche que notre vie personnelle
est remplie de voyages, de rencontres et de relations à l’autre.
Le
vécu et le tiers : Notre action, à nous autres enseignants qui
avons pour tâche d'élargir le champ lexical de nos élèves, est donc de
miser sur ces deux tableaux : le vécu et l’apport par le tiers.
Le
partage du vécu, peut être une semaine à la montagne ou à la
mer ; deux jours dans un musée gallo-romain, un château médiéval,
un site préhistorique ou un centre d’initiation à la musique ;
une journée près d’un fleuve, d’une forêt, à la ferme, dans une
boulangerie ou à l’intérieur d’une centrale nucléaire …
Confrontés directement au milieu, à l’atmosphère, les enfants en
garderont une trace permanente et sauront de quoi ils parlent.
L’apport
plus artificiel, le plus couramment utilisé parce que réclamant de
faibles moyens financiers est le texte, la photo, le film, la voix.
Mon
travail avec une classe CE2 : Pour les enfants des Eaux-Vives qui montrent
pour la plupart un champ lexical pauvre, fait de répétitions et d’expressions
toutes faites, éprouvant des embarras pour exprimer leurs ressentis,
leurs pensées, les situations vécues, il m’a semblé nécessaire
de : -
travailler par domaines lexicaux de façon continue, tout au long de l’année
scolaire. -
traiter des thèmes particuliers sur une période longue. -
de favoriser l'appropriation de mots et expressions de substitution.
La
ferme, l’enfance : quotidiennement, à l’aide de la lecture
suivie de « Les contes du chat perché » de Marcel Aymé,
découverte de nouveaux mots qui seront : -
listés au fur et à mesure de leur rencontre et réutilisés au sein des
activités de français. -
redécouverts plusieurs fois dans l’année au fil des pages car ils
appartiennent au champ lexical spécifique de la ferme exploré à la
lecture de ce livre.
Ce
travail peut être réalisé dans d’autres domaines, en parallèle, sur
une année scolaire ou éventuellement sur plusieurs années si le livre
est volumineux, par exemple les thèmes de : l’île, la mer, les zones
équatoriales et tropicales, le rapport à la loi, à l’aide de la
lecture offerte de « Sa majesté des mouches » de William
Golding.
Travailler
sur une période longue (2 ou 3 mois), sur un thème donné par exemple la
Préhistoire. Apport du lexique spécifique (vécu et/ou apporté) ;
réemploi fréquent de ce vocabulaire pendant tout le temps de l’étude
du thème, de façon répétitive parce que ces mots font partie
intégrante de ce thème et pas d’un autre.
Dans
les deux cas, les mots s’imposeront d’eux-mêmes parce qu’ils auront
été régulièrement redécouverts, lus, employés et non pas survolés.
Ils auront été assimilés, s’intégreront au lexique personnel de l’enfant
qui les maîtrisera. Un travail se fera par imprégnation. Il est courant
de voir, l'année suivante, les enfants réutiliser à bon escient,
certains mots ou expression.
Je
pense à « esquiver » ou « il me cherche des
noises », lâchés par des élèves et attrapés au vol parce qu’originaux,
pas connus ou rigolos. Le travail de l’enseignant et de la classe peut
être de repérer ces mots ou expressions et d’essayer de les imposer ou
du moins de les préférer à d’autres d'inciter à les employer en
faisant répéter ce qui a été dit et surtout montrer l’exemple
soi-même : faire abandonner certains mots vulgaires au profit de mots
divers, plus imagés.
Les
enfants prennent plaisir, c'est même un plaisir sensuel, à découvrir et
utiliser des mots jusque là inconnus. Leur champ lexical s'étoffe, leur
offrant aussi une palette plus étendue au service de la communication.
C'est en particulier dans le cadre des conseils de classe et dans les temps philosophiques, que ce maniement de la langue orale va pouvoir se révéler, les enfants prenant plaisir à cette dimension de la communication. Ils utilisent alors des mots, des expressions (qui semblent intégrés) et cette fois de manière autonome, l'étayage de l'adulte n'étant plus nécessaire.
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VI - Au-delà des approches pédagogiques, c’est pour les enseignants de l’équipe, l'adhésion aux mêmes convictions :
Notre
questionnement ne se situe pas au niveau de méthodes pédagogiques
innovantes, mais plutôt sous la forme suivante : -
Comment les pratiques pédagogiques sont-elles présentées ? -
Pourquoi les enfants les acceptent-ils ? - Comment les font-elles progresser ?
Les pratiques pédagogiques : Elles sont portées par des enseignants motivés, qui se remettent en question et travaillent en équipe. Elles ne sont pas figées, mais restent ouvertes aux critiques constructives, et donnent aux enfants le droit de se tromper et d’en discuter.
Pourquoi
les enfants les acceptent-ils ? Parce
qu’une réflexion et un travail de fond sont mis en place pour : -
Leur redonner confiance en eux et en l’adulte -
Leur apporter une image positive d’eux-mêmes et de leur relation aux
autres, en leur faisant prendre conscience de leurs difficultés sans les
nier ni les aggraver -
Leur rendre leur dimension de sujet, parce qu’ils peuvent parler et
être écoutés, qu’ils sont considérés comme des interlocuteurs
valables. La parole n’est pas limitée à un lieu ou à un moment, elle est le matériau principal des relations entre individus dans l’école.
Comment
les pratiques pédagogiques font-elles progresser les élèves ? Dédramatiser
l’erreur : Une modification du statut de l’erreur doit s’opérer
avec ces enfants. Un
exemple : la production d’écrit à partir d’images visuelles. Cet
exercice vise la construction collective d’un texte à partir d’une
image. Dans son déroulement, il permet à la fois d’éduquer à la
perception, de la mettre en mots dans une langue correcte, et de
travailler sur la cohésion du texte. En
acceptant tous les essais et les propositions de phrases des enfants, tout
en les orientant vers l’utilisation d’une langue et d’un vocabulaire
correct, l’enseignant valide des essais. Cela permet de montrer alors
que l’erreur, la rature, le tâtonnement permettent d’améliorer la
production et d’aider à la cohérence. Cela offre aux enfants la
possibilité de concevoir l’erreur comme une aide à l’amélioration
de l’écrit. La
motivation des élèves : Les démarches de projets et la motivation des
enseignants permettent des procédures d’imitation et de modélisation
dont les enfants se saisissent. Elles agissent directement sur le désir d’apprendre
et la motivation des élèves. Ils se rendent compte que l’apprentissage
n’est pas seulement limité à la scolarisation, et que les adultes
continuent eux aussi à avoir du plaisir à apprendre. D’autre
part, on leur propose une autre alternative et d’autres modèles par
rapport à ce qu’ils ont vécu auparavant.
Synthèse
à partir des différentes observations, plus particulièrement en lecture
et dans les classes du cycle II. Tout
au long de notre démarche d'enseignant spécialisé, nous devons aider
les enfants à se représenter : -
les procédures rythmiques et phonologiques (conscience phonologique). -
la dynamique de la lecture en évitant la multiplicité des informations
(la surcharge cognitive). -
la construction de la correspondance entre le temps de la parole et la
linéarité spatiale du message écrit (voir la combinatoire comme une
véritable gymnastique mentale, opération mentale au service du sens). -
la segmentation et recomposition du langage. -
un jeu possible avec le capital lexical dans la mise en lien. -
les lois qui régissent l'écrit et l'intérêt de l'écrit.
Une
part de désaffectivité sera nécessaire au départ (par exemple :
l'illustration venant trop parasiter l'ordre sémantique). Un
travail de concentration prenant appui sur l'ancrage perceptif sera
incontournable (arbitraire du signe : à chaque graphie correspond un
phonème : Fidel Gattegno). Une
aide par rapport à la mise en mémoire sera nécessaire (points d'appui
pendant un temps aussi sur le Fidel Gattegno). Un
accompagnement quant à la gestion et la correction des erreurs
(capacités à faire des liens, des analogies, à impulser dans le cadre
d'ateliers, dans une prise de risque).
La
combinaison de ces différents facteurs entraîne chez l'enfant, un
sentiment de maîtrise. Nous sommes là dans le domaine de la
« méta-cognition », c'est-à-dire que nous développons
progressivement un comportement de réflexion différent vis à vis de la
lecture en renversant les choses : une dynamique d'appropriation s'amorce,
l'enseignant n'est plus le seul détenteur du savoir. L'activité de
réflexion habituellement "persécutoire" chez eux (peur de
l'inconnu, sentiment de trop d'éléments à ingérer liée à l'approche
par trop syncrétique, refus de l'arbitraire) va se transformer
progressivement en activité jubilatoire mettant à l'œuvre des capacités
à mieux discriminer, à ordonner, à combiner, à transformer, pour
construire de la signification Rigueur,
systématisation, raisonnement, souplesse seront les maîtres mots de
cette démarche.
L'accompagnement
fait par l'enseignant conduit l'élève à prendre conscience des
potentialités, du pouvoir de maîtrise qu'il a sur la langue orale et sur
la langue écrite.
Les
règles de communication, les structures syntaxiques étrangères ou
redoutées jusque là deviennent objets d'investissement : c'est la
découverte, l'immersion dans l'univers linguistique avec tous les
bénéfices que cela apporte au niveau de la communication au sens large
(lire, écrire, pour communiquer : mots dans la boîte du conseil de
classe, lire un conte dans la classe des petits, écrire le mot à
apporter au secrétariat chaque matin, écrire aux correspondants, écrire
une lettre au directeur pour faire des demandes matérielles, taper sur
l'ordinateur un texte qui sera imprimé dans le journal de l'école,
préparer une affiche pour un spectacle, faire un exposé).
Toutes
ces activités évidentes pour tout enfant qui va bien, sont l'objet d'un
lent travail pour l'enfant en Institut de Rééducation, ce travail de
construction interne va s'étirer sur plusieurs années : de la confusion,
de la violence de la communication à la prise en compte progressive de
l'autre pouvant exister en tant que récepteur d'un message. Ce qui
entraînera aussi pour l'enfant l'accession à la dimension de sujet, la
communication réflexive donc plus élaborée, plus intériorisée venant
prendre la place de la communication acting-out (passage à l'acte).
La
structure pauvre et schématique de la langue, répétitive et sans nuance
du point de vue lexical s'élargit au fil du temps. Des interactions entre
les processus de « bas niveau » et « haut niveau »
deviennent possibles. Les mots connus sont au moins, en partie, stockés
de manière stable et d'année en année un lexique interne se constitue.
Les
rituels pédagogiques forts (notamment dans la démarche Gattegno)
contribuent à rassurer, à faire en sorte que l'inconnu fasse moins peur
et que par la même les conduites d'échec soient réduites.
Au
début l'enseignant porte littéralement l'enfant au creux de sa main, il
pense avec lui, lui prête ses mots, ses raisonnements.
C'est
dans ce « holding pédagogique » qu'un espace cognitif va se
développer progressivement chez l'enfant, lequel découvrant
progressivement ses potentialités, va pouvoir lentement se dégager du
psychisme de l'enseignant pour enfin pouvoir accéder à un fonctionnement
cognitif séparé et devenir autonome. Au sens de Winicott
(pédiatre, psychanalyste qui a approfondi la question du développement
chez l’enfant dès son plus jeune âge, "holding" signifie
enveloppe affective, contenante, repérable, ensemble des réponses
adaptées aux besoins de l’enfant et qui vont permettre son
développement affectif et cognitif (accordage mère/enfant).
D'autre
part, l'existence du groupe classe en tant que tiers, va aussi participer
à ce décollement.
Les enfants ont à partager l'enseignant avec les autres et par la même, s'évite ainsi le risque du trop d'étayage stérile et enfermant.
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VII - Réajustements et ouvertures :
Comment poursuivre notre réflexion ?
Un des constats importants fait lors de cette réflexion : Ces enfants ont peu de goût d'emblée pour l'échange d'informations écrites.
A nous, enseignants, de favoriser les situations permettant ces échanges. Au-delà des sollicitations déjà proposées, nous devons élargir encore ce champ. La classe pourrait se transformer en un lieu de production, d'échanges, de transmission d'histoires, d'informations.
Cela entraîne la création d'ateliers, de lieux d'exposition, de propositions de situations mettant en route des interactions.
L'outil informatique doit aussi être utilisé à ces fins (création de livret de poésie, livre de bord de la classe, de l'école, journal, textes illustrant les travaux exposés).
Nous aurions aussi beaucoup à gagner à approfondir la réflexion sur le fonctionnement bien particulier de nos élèves.
Établir un diagnostic du fonctionnement cognitif pourrait nous aider à affiner nos réponses sur le plan individuel : s'autoriser et se donner les moyens de l'observation, de l'entretien d'explicitation.
Nous aurions aussi à définir, un peu plus, les processus concernant les opérations cognitives qui comprennent différentes étapes.
Importance aussi de bien articuler les réponses à partir des connaissances antérieures des enfants. Des connaissances rigoureuses à ce niveau là pourraient affiner notre regard sur les comportements de lecteur bien spécifiques chez certains de nos élèves.
Nous aurions aussi à approfondir la réflexion sur le fonctionnement de la mémoire à court terme, sur la mémoire à long terme et sur leurs interactions, les élèves que nous avons semblent rencontrer de grandes difficultés dans ce domaine.
Des exercices du type de ceux qu'on peut trouver en terme de gestion mentale pourraient permettre d'élargir, d'assouplir la capacité à engranger des informations (tout travail de mémorisation semblent laborieux, douloureux pour la plupart de nos élèves).
Il serait nécessaire aussi d’étoffer le champ d'exploration de l'écrit : travailler plus dans le lien avec les éducateurs et les familles afin que les enfants soient plus en situation d'appréhender l'écrit dans la vie quotidienne. En général, ce type d'immersion a été quasiment absente jusque là.
Ouvrir vers les sollicitations possibles sur la commune pourrait également contribuer à dynamiser (travail avec la bibliothèque, avec l'association "plume rencontre" pour des ateliers d'écriture, prospection à la mairie pour suivre les projets d'aménagements des bords du Rhône).
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VIII - Les limites de notre réflexion
Nous ne pourrons pas combler tous les retards ni modifier radicalement les comportements. Les sollicitations citées ci-dessus ne peuvent prendre leur place qu'en parallèle des approches plus techniques qui ont fait l'objet de notre réflexion. Attendre que la curiosité s'éveille et qu'une dynamique d'apprentissage se mette en route essentiellement à partir de motivations serait un leurre : les processus d'apprentissage n'émergent pas de manière si naturelle chez nos élèves. L'accompagnement, comme on l'a vu, et l'étayage demeurent essentiels.
Le
danger serait d'enfermer les enfants dans ce fonctionnement confortable
pour eux. L'autonomie doit rester l'objectif. Cependant nous constatons
qu'il n'est pas aisé pour eux d'y accéder. C'est pourquoi la question du
désétayage doit faire partie des priorités au niveau de notre
réflexion : rendre les enfants plus autonomes pour qu'ils puissent
retourner dans le circuit ordinaire.
Le
travail à ce niveau là a été longuement préparé par le
« holding » des classes de plus jeunes (cycle II). C'est parce
qu'il y a eu un travail de type « maternage cognitif » qu'on
peut penser ensuite qu'un certain nombre de choses sont suffisamment
intériorisées pour que l'enfant puisse enfin se fier à sa propre
capacité de penser.
De
la même manière, les outils pédagogiques constituent aussi des tiers
objectifs qui contribuent lentement au désétayage : à un moment les
outils vont prendre le relais même si cela passe par du mimétisme dans
un premier temps, l'enfant commencera à accéder à une autonomie en les
utilisant. Pour un certain nombre de cas ce sera lent, laborieux,
résistant.
On
en a fait le constat précédemment à partir des observations que les
classes du cycle II (classes essentiellement définie par l'étayage
apporté par l'enseignant.)
Les
classes du cycle III, tout en continuant à fonctionner en partie avec des
approches étayantes, laissent une plus grande place à l'outil
pédagogique (l'élève s'en approprie plus, s'en sert personnellement,
s'y réfère dans une plus grande autonomie).
La
dimension identification à la culture proposée va, elle aussi, tout au
long de la scolarité, introduire une dimension de tiers en même temps
qu'un sentiment d'appartenance à la société humaine.
La
pédagogie spécialisée dans la dimension différenciée va cependant
autoriser des retours en arrière, des consolidations étayées
lorsqu'elles sont nécessaires. On peut avancer d'un pas et reculer de
deux provisoirement.
Cependant on observe des régressions :
Chez un certain nombre d'enfants sortants, l'angoisse de quitter la structure réactive tous les fonctionnements archaïques. Le soin apporté pour accompagner la séparation doit être d'autant plus conséquent (travaux de méthodologie visant à donner à l'enfant des atouts suffisants pour une adaptation à l'extérieur).
Parfois cela participe du découragement des enseignants. Des années de travail semblent voler en éclat lors de la sortie en tous cas pour certains élèves.
Ceci nous conduit en effet aux limites rencontrées dans le cadre de certaines pathologies.
Dans
un certain nombre de cas on peut observer des rigidités de fonctionnement
intellectuel à mettre en lien avec la problématique de l'enfant : -
Obsessionnalité -
Refus de l'arbitraire -
Refus de la dépendance -
Refus de grandir -
Peurs persécutoires - Stéréotypies
Ces cas sont cependant minoritaires mais la plupart des élèves d'Institut de Rééducation gardent des particularités de fonctionnement le plus souvent liés à leurs mécanismes de défense qui ont une incidence sur leur rapport à l’apprentissage.
Ils ont, pour la plupart, connu des ruptures dans la continuité des soins donnés dans la petite enfance, ceci ayant entraîné des défauts de contenant de pensée ou en tous cas, des comportements cognitifs bien spécifiques.
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IX - En guise de conclusion : au-delà de ces difficultés… restons optimistes
Et l’après pour nos enfants, qu’en est-il ? Seront-ils lecteurs ? Bons lecteurs ? Vrais lecteurs ?
Un enfant arrivé à 6 ans aux Eaux-Vives peut nous quitter 4, 5, 6 ans plus tard et nous sommes étonnés de l'évolution tant au niveau des acquis (les enfants, en majorité, sortent lecteurs et avec des compétences relativement solides en mathématiques) que du comportement. D’autres nous quittent plus tôt (intégration dans les écoles primaires).
La
curiosité intellectuelle s'est développée, l'autonomie également. La
capacité à communiquer est devenue réelle : les conseils de classe dans
les classes de grands (cycle III) sont de grande qualité et s'ouvrent le
plus souvent vers des temps philosophiques, nous l’avons déjà
évoqué.
Les
enfants vont soit vers l'école primaire de leur quartier, soit vers la
6ème ordinaire ou la 6ème SEGPA. Une petite minorité continuera dans un
établissement spécialisé.
Les
enfants orientés en 6ème s’intègrent et font partie d’une moyenne.
Les enfants orientés en SEGPA deviennent de bons éléments de SEGPA. Une
majorité d’entre eux va ensuite vers le lycée professionnel.
Les
orientations en 6ème ordinaire et en 6ème SEGPA constituent les 2/3 de
nos orientations.
Une
enseignante ayant eu à fonctionner dans une classe du cycle II et
quelques années après dans une classe du cycle III (classe de sortants)
a été heureusement étonnée par les progrès des enfants qu'elle avait
eu très jeunes dans sa classe, les trouvant relativement changés dans
leur rapport aux apprentissages et dans leur comportement. Elle a pu ainsi
comparer et renvoyer aux enseignants du cycle II comme leur mission était
à la fois essentielle mais difficile.
La
grande majorité des élèves sortants sont lecteurs, au sens où ils ont
acquis les capacités à déchiffrer, à décoder, où ils sont capables
de montrer une lecture relativement fluide dans laquelle le code n’est
plus un obstacle. Mais seront-ils bons lecteurs ? Vrais
lecteurs ?
Le
travail de "dédramatisation", de mise en confiance, de
restauration de l’image de soi, permet à tous d’adopter un
comportement de lecteur autonome, en diminuant le sentiment de
persécution et l’angoisse de ne pas savoir. Tous les élèves sont
capables d’entrer dans un ouvrage simple, de lire pour rechercher des
informations, de déchiffrer des consignes et d’y mettre du sens.
Cependant,
rares sont ceux qui adoptent une attitude de lecteur « pour le
plaisir », qui osent s’affronter à la lecture d’ouvrages longs
(romans), qui préfèrent s’informer par la lecture plutôt que par l’audiovisuel…
Pour beaucoup, la difficulté semble toujours sous-jacente, inquiétante,
et ils disent eux-mêmes combien ils gardent le souvenir d’un travail
laborieux pour apprendre à lire.
La
lecture reste pour la plupart d’entre eux un outil pratique, quotidien,
mis au service d’un besoin vital de communication et d’information, et
peu un moyen d’accéder à l’imaginaire.
Mais
ils ont acquis des données essentielles : -
l’autonomie, l’indépendance par rapport à l’adulte
« traducteur » de texte -
l’accès possible à la documentation personnelle à propos de sujets
qui les intéressent (ils montrent un grand plaisir à prélever des
informations sur les animaux, découvrir des exploits sportifs,…) -
l’accès à une culture commune, à la non-marginalisation ; le
plus dur à accepter avec "l’illettrisme" n’est peut-être
pas le manque d’autonomie (des palliatifs sont toujours possibles), mais
le fait d’être différent des autres et l’exclusion que cela
entraîne. -
et le plaisir de communiquer par la lecture d’albums à des enfants plus
jeunes, la présentation d’exposés, la lecture (avec une grande
fierté) de leurs propres productions d’écrits.
Il
y a bien sûr, pour la plupart, un décalage entre le niveau de lecture de
ces enfants et celui attendu chez des élèves du même âge. Mais les
acquis sont solides, et nous devons peut-être relativiser en prenant en
compte le fait que ces enfants ont (re)commencé à entrer dans les
apprentissages avec plusieurs années de retard, et après une phase
douloureuse de peur, d’échecs répétés, ou de non-disponibilité
parce qu’ils étaient envahis par leur histoire personnelle…
Le travail de réflexion mené ces deux ans nous a permis des confrontations intéressantes, un élargissement de nos pratiques mais aussi un constat essentiel et gratifiant : la continuité et la cohérence de réflexion au sein de l'équipe. C'est aussi avant tout la prime de plaisir à penser qui permet de maintenir une dynamique depuis 7 ans maintenant dans cette équipe et dans une fonction qui n’est pas des plus faciles : celle d’enseignant spécialisé.
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Liste des membres de l'équipe ayant réalisé cette
monographie : contacter l'équipe pour obtenir les annexes (voir adresse ci-dessus) FRANC ROBLES Annie PE
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